Laudato Si, tout est lié

Présentation de l'encyclique Laudato Si du Pape François

Tout est lié

Une présentation de Laudato Si’

Introduction

L’encyclique est facile à lire, du moins, elle ne comporte pas de mots compliqués. Mais elle est assez longue (190 pages). Cependant, on peut dire qu’elle est dense et très cohérente autour d’une idée maîtresse : L’expression « Ecologie intégrale » (8 fois) qui fait l’objet du 4° chapitre. Il ne s’agit pas tant d’une approche écologique des robinets à fermer et des panneaux solaires à installer – même s’il n’ignore pas l’importance des petits gestes quotidiens – que d’une vision systémique de notre monde. Par vision systémique, entendez « qui fait système » ou encore « globale et articulée ».

L’écologie[1] globale de François tient ensemble la foi en Dieu, les relations aux autres et le lien que nous entretenons avec toute la création.

A de nombreuses reprises (10 fois), le Pape affirme que « tout est lié ». Et puisqu’il en est ainsi, alors l’écologie intégrale, c’est aussi le souci des pauvres (61 fois), des plus faibles (du début de la vie aux grands handicapés en fin de vie § 117.120) : « Quand on ne reconnaît pas, dans la réalité même, la valeur d’un pauvre, d’un embryon humain, d’une personne vivant une situation de handicap – pour prendre seulement quelques exemples – on écoutera difficilement les cris de la nature elle-même. Tout est lié. » (117)

Le propos de mon intervention sera de vous faire rentrer dans une perspective historique de l’encyclique, de montrer que son originalité n’est pas tant dans ce qu’elle dit car il n’y a rien de vraiment neuf mais dans la façon dont elle le dit.

 

Le plan de l’encyclique, une pensée.

Introduction

  1. Ce qui se passe dans notre maison : Il s’agit du bilan scientifique de la santé de notre planète. Le Pape n’est pas un climato-sceptique.
  2. L’évangile de la création (qui concentre les trois quarts des citations bibliques).
  3. La racine humaine de la crise écologique (le consumérisme et le technocratisme)
  4. L’écologie intégrale (environnementale, économique, sociale, culturelle, quotidienne, dans le respect du bien commun et la justice entre les générations).
  5. Quelques lignes d’orientation et d’action : rentrer en dialogue à tous les niveaux et dans la transparence.
  6. Education et spiritualité écologiques : entrer en conversion !

Quel public ?

Pour tous ! La terre est pour tous, l’encyclique est pour tous. Cf. N° 3 : « Je voudrais m’adresser à chaque homme qui habite cette planète » ou encore « Je me propose d’entrer en dialogue avec tous au sujet de notre maison commune ».

Il faut savoir que les encycliques n’ont pas toujours cette destination universelle. Parfois elles ne sont destinées qu’aux évêques comme pour « Veritatis splendor »[2].

Le titre de l’encyclique de François : Laudato si’

Laudato si’, Loué sois-tu. Ces premiers mots du cantique des créatures de St François d’Assise[3] ont été sur toutes les lèvres des générations de jeunes qui sont passés par Taizé en particulier.

Il est assez remarquable que le titre soit celui d’une louange, d’un émerveillement devant la création, d’une jubilation devant la contemplation des créatures, de la plus petite chose au cosmos lui-même en passant par les plantes, les animaux, l’eau, l’air et le feu. Ce n’est pas anodin de commencer par là. En effet, dans cet hymne, on rentre immédiatement dans une relation à la création et au créateur qui en est le destinataire. En deux mots, le lien est fait et toute l’encyclique doit se comprendre dans ce cadre. D’emblée, la réflexion sera conduite à l’intérieur de cette relation que nous entretenons avec le Créateur et les créatures « Tout est lié ».

Si vous êtes familiers de ces textes du magistère sur l’écologie, avez-vous remarqué que le document publié par la Conférence des évêques de France en 2012, « Enjeux et défis écologiques pour l’avenir », ne commence pas du tout de la même façon.

Le document français débutait par : « La crise écologique suscite une inquiétude majeure dans nos sociétés ». Partir d’une angoisse ou d’une louange ne procède pas de la même méthode et ne produit pas le même effet. En fait le document de la conférence des évêques français s’achève par la citation explicite du cantique du pauvre d’Assise. Peut-être faut-il voir un clin d’œil à ce document qui n’est pourtant pas cité par le Pape alors qu’il cite 22 fois des productions de conférences épiscopales du monde entier.

Finir ou commencer par ce cri de louange n’est pas tout-à-fait la même chose. L’intuition du Pape, en ouvrant par ce cantique, est peut-être de nous dire que l’on se bat d’autant mieux pour quelque chose ou quelqu’un que l’on y tient. Et l’on tient d’autant plus aux choses et aux personnes, qu’elles nous émerveillent ! C’est alors que leurs cris[4] de souffrances nous touchent et nous motivent pour agir.

Le sous-titre : Sur la sauvegarde de la maison commune

Le sous-titre n’est pas moins intéressant. Je commence par la fin. « La maison commune ». Dans « écologie », il y a le mot maison. Il fut un temps où l’on parlait de notre planète comme d’un vaste monde. Les moyens de transport et de communication l’avaient réduite à un village. Nous voici rendus à la considérer comme une maison commune. Or dans une maison, réside une même famille où des liens de parenté et de solidarité s’expriment quotidiennement. Il s’agit donc d’affirmer, par cette simple expression, une vision familière où aucun des membres ne peut ignorer le sort des autres. Le développement de l’encyclique le confirmera amplement.

Le terme de « sauvegarde » n’est pas anodin non plus. Il se distingue du sauvetage et du salut. On pourrait considérer l’aventure de l’arche de Noé comme une tentative de sauvetage de la création. Si le Pape François au N° 71 considère que Dieu a ouvert « un chemin de salut » à travers Noé, les termes qui accompagnent cet événement montrent que l’on est beaucoup plus dans la continuité que dans une rupture radicale. Le « nouveau commencement » se fait à partir du petit reste bon de l’humanité. Cela relève plus d’une « réhabilitation » que d’un salut au sens fort. Ce salut, nous en voyons peu la trace dans l’encyclique. Deux citations bibliques nous mettent sur la piste : « … alors je connaîtrai comme je suis connu » 1 Co 13, 12 et « Voici que je fais toutes choses nouvelles » Ap 21, 5. Ces deux citations se trouvant dans le dernier numéro de l’encyclique.

« Sauvetage » renvoie à une dimension plus stressante, plus urgente et laisse entendre qu’il y a péril en la demeure. Le premier chapitre de l’encyclique montre bien que le Pape et son entourage[5] n’ignorent rien de la situation. Le moins que l’on puisse dire est qu’il ne fait pas parti des climato-sceptiques. Si dans un sauvetage, on sauve ce qui peut encore l’être, l’idée de sauvegarde laisse entendre que rien n’est perdu. Il reste que le temps nous est compté. La Cop 21 l’a montré amplement.

De ce point de vue, je trouve heureux que le Pape a choisi le nom commun de sauvegarde plutôt que le verbe « sauver » qui est beaucoup plus polysémique, plus ambigu. Il suffit de lire les actes du colloque organisé le 29 novembre 2014 par l’Observatoire Foi et Culture de la Conférence épiscopale avec le titre « Sauver la création » pour voir chez Mgr Pascal Wintzer l’effort de rappeler qu’il n’y a « qu’il n’y a qu’un seul sauveur, le Christ Jésus »[6]. Et si Mgr Marc  Stenger a intitulé sa communication « Sauver toute la création », la pointe de sa pensée porte sur le « toute », le terme « sauver » renvoie à l’effort où « chaque homme est appelé à une œuvre de réconciliation des hommes avec Dieu, des hommes entre eux, des hommes avec la nature »[7]. On retrouve ici la réponse aux troubles engendrés par la désobéissance d’Adam et Eve au commandement du Seigneur en Gn 3.

Ainsi donc, chacun peut constater la richesse du titre retenu pour l’encyclique sur l’écologie. Nous y apprenons en définitive que ce n’est pas tant la crise écologique qui est en jeu que la perception que nous avons de notre rapport au Créateur (Laudato si’) et au monde (Sauvegarde de la maison commune). La crise écologique est un effet de la dégradation fondamentale de ces relations. L’appel à la conversion écologique qui fait l’objet des numéros 216-221 dans le sixième chapitre, est avant tout un appel à une conversion tout court !

Le cantique des créatures

Beaucoup dans le monde ont chanté les louanges de cette encyclique pour l’appui qu’ils y trouvaient afin de mener le combat de l’écologie mais il n’est pas évident que l’encyclique conduira à une conversion au Créateur. Pourtant, comme le dit Paul dans l’épître aux romains citée dans Laudato si’ : « ce qu'on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste : Dieu en effet le leur a manifesté.  Ce qu'il a d'invisible depuis la création du monde se laisse voir à l'intelligence à travers ses œuvres, son éternelle puissance et sa divinité, en sorte qu'ils sont inexcusables ; puisque, ayant connu Dieu, ils ne lui ont pas rendu comme à un Dieu gloire ou actions de grâces » Rm 1, 19-21.

Ce qui paraissait évident à Paul ou à François d’Assise, à savoir que tout ce que l’on voit est une création, beaucoup n’y voit que la nature. Je ne suis pas un spécialiste du Poverello mais je crois qu’il n’utilisait jamais le terme de nature lui préférant toujours celui de créature.

Le terme de création avec ses dérivés est utilisé 172 fois dans l’encyclique. Il nous paraît assez simple à comprendre dans un premier temps. Et pour l’instant contentons-nous de nos a priori. Nature est aussi très utilisée dans l’encyclique (107 fois avec ses dérivés). Plus encore que la création, le mot nature est source de difficultés y compris pour la pensée contemporaine. Pour mémoire, en 1967, Pierre Colin[8] faisait une synthèse des difficultés que nous affrontons lorsque nous utilisons le mot de nature. On en comprend mieux les sens différents en présentant des binômes.

  • Nature – créature : manifeste une différence de foi dans le regard que l’on porte sur les éléments qui nous entourent. Parler de créature c’est confesser la foi en un Créateur.
  • Naturel – artificiel : il s’agit ici de distinguer l’apport de l’homme dans son environnement.
  • Nature – grâce : on évoque dans ce cas l’apport de Dieu.
  • Nature – culture : le propre de l’homme n’est-il pas de s’extraire de la nature par l’éducation et la culture ?
  • Nature – essence : afin d’exprimer ce qu’il y a en commun entre deux réalités.
  • Naturel – surnaturel : grand débat sur ce qu’il y a en commun et ce qui distingue le naturel et le surnaturel, sur ce que produit l’activité surnaturelle dans la nature
  • Nature – liberté : la question des déterminismes, du hasard et de la nécessité. Quelle liberté (sens et marge de manœuvre) au milieu de tout cela.
  • Nature – raison : y a-t-il une raison dans la nature ? La raison humaine est-elle naturelle ?

 

La crise écologique, le symptôme d'une maladie beaucoup plus grave.

 

Laudato si’ distingue nettement entre la description de la crise dans la première partie et les causes profondes qui sont décrites dans la troisième partie. Le titre de ce chapitre discerne le siège fondamental du problème dans le cœur de l’homme : « la racine humaine de la crise écologique ». Le problème n’est pas tant la science, la technologie ou la technocratie mais ce qui oriente la science et l’idéologie qui conduit l’homme à acquérir toujours plus de « domination » sur le monde qui lui a été confié. Le Pape n’a pas peur des progrès technologiques et il en reconnaît les bienfaits (102). Ce qu’il dénonce, c’est l’emballement non maîtrisé de cette quête. « La vie est en train d’être abandonnée aux circonstances conditionnées par la technique, comprise comme le principal moyen d’interpréter l’existence » (110). Or rien n’est plus faux de croire que c’est la médecine qui dit au médecin pourquoi il faut que l’homme vive. Ce ne sont pas des arguments uniquement médicaux qui invitent le médecin à soigner une personne ou un organe. Quels sont les arguments qui ont valu pour obliger le corps médical à recueillir, autant que faire se pouvait, le consentement du patient ? Si l’avis autorisé des médecins est nécessaire pour comprendre l’état de santé d’une personne en fin de vie, qui dira ce que signifient la vie humaine et sa dignité ? Ce n’est pas non plus la science qui impose aux chercheurs de développer des programmes pour mieux nourrir les populations ou pour éliminer au moindre coût dans les camps de concentration toute une catégorie de gens. Toutes ces orientations viennent du cœur de l’homme.

Selon François, l’introduction d’une culture écologique donnera « un regard différent, une pensée, une politique, un programme éducatif, un style de vie et une spiritualité qui constitueront une résistance face à l’avancée du paradigme technocratique » (111).

De ce point de vue, il n’y a absolument rien de neuf dans l’encyclique Laudato si’. Depuis longtemps le magistère rappelle que si la création a été confiée à l’homme, la façon correcte pour l’homme d’exercer cette responsabilité ne peut se faire qu’en gardant un lien vivant avec le donateur. Sinon, il est comme ces personnages de bandes dessinées qui, pour s’affranchir de leurs limites, scient la branche sur laquelle ils sont assis. Ils sont toujours sur la branche, mais ils tombent ! C’est drôle au cinéma, mais c’est catastrophique lorsque cela concerne notre humanité qui a cru qu’elle pouvait se passer de son Créateur. Or nous le savons depuis la lecture du troisième chapitre de la Genèse, en consentant à manger du fruit de l’arbre pour devenir comme des dieux, Adam et Eve se sont aperçus qu’ils étaient nus et faibles. Le soupçon à l’égard de Dieu que le serpent avait distillé dans ses questions a engendré une peur de la créature envers son créateur ; une incapacité à voir leur nudité et leur faiblesse sereinement ; un rapport douloureux à la nature. C’est ce que nous dit François en s’appuyant sur Jean-Paul II : Si l’être humain se déclare autonome par rapport à la réalité et qu’il se pose en dominateur absolu, la base même de son existence s’écroule, parce qu’ « au lieu de remplir son rôle de collaborateur de Dieu dans l’œuvre de la création, l’homme se substitue à Dieu et ainsi finit par provoquer la révolte de la nature »[9] (117). D’une certaine manière, si tout est lié, alors le péché fondamental peut être compris comme une déliaison des êtres humains avec Dieu et par voie de conséquence entre l’homme et la femme, entre eux et la création !

L’interprétation de Gn 1, 28 « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre » a été revisitée depuis longtemps. Le 16 novembre 1970, Paul VI devant l’assemblée générale de la FAO affirmait que « l’heure était maintenant venue pour l’homme de dominer sa domination »[10]. Ce que François dit à sa manière en s’appuyant sur la fédération des conférences épiscopales d’Asie que la façon correcte « d’interpréter le concept d’être humain comme ‘Seigneur’ de l’univers est plutôt celle de le considérer comme administrateur responsable » (116). Le magistère a peut-être évolué ces derniers temps en s’appuyant plutôt sur Gn 2, 15 qui nous apprend que l’homme a été mis dans le jardin pour « le cultiver et le garder ».

Chacun l’aura compris, l’anthropologie qui est déployée dans l’encyclique est éloignée d’un anthropocentrisme où l’homme se ferait oublieux de ses racines, de son créateur.  Dans le livre du siracide, l’auteur nous dit que « C'est Dieu qui au commencement a fait l'homme et il l'a laissé à son conseil » Si 15, 14. C’est dire l’estime dans laquelle Dieu tient sa créature et les talents qu’il lui a remis. Mais lorsque ce dernier passe d’une autonomie reçue et confiée à un mode de vie autarcique, comme si tout commençait avec lui, alors, cet « anthropocentrisme dévié donne lieu à un style de vie dévié » (122).

 

De l’usage de l’Ecriture dans l’encyclique

 

Le Concile Vatican II insiste pour que « l’étude de la Sainte Ecriture soit pour la sacrée théologie comme son âme »[11] et recommande plus particulièrement encore que « la théologie morale soit plus nourrie de la doctrine de la Sainte Ecriture »[12]. Il reste qu’il ne suffit pas de citer l’Ecriture pour garantir son discours d’une bonne qualité théologique. Satan lui-même, lorsqu’il tente Jésus au désert à la suite de son baptême n’hésite pas à citer la Parole de Dieu. (Lc 4, 1-13). Cela nous invite donc à la prudence quant à l’interprétation de l’Ecriture.

C’est pourquoi nous allons prêter une grande attention à l’usage de l’Ecriture dans l’encyclique. Non pas qu’il faille craindre une quelconque diablerie mais parce que, chez les chrétiens et les catholiques en particulier, elle est reçue comme une autorité qui, associée à la Tradition, constitue le socle de toute réflexion théologique. On dit qu’elle est la norme normante, la norme sur laquelle toutes les autres normes s’élaborent.

Laudato si’ contient 67 citations explicites de la Bible. Je n’ai pas compté les allusions. Ce n’est pas énorme. L’Evangile de la vie de Jean-Paul II avait, à ce titre, atteint des sommets. Ce n’est d’ailleurs pas le nombre de références qui fait la qualité d’une encyclique, ça se saurait.

Pour celle qui nous occupe, encore quelques chiffres : 41 citations proviennent du premier testament et 26 du Nouveau Testament. Par comparaison, dans les messages pour la paix de 1990 et de 2010, nécessairement beaucoup plus courts il y avait respectivement 20 citations dont 6 du nouveau testament chez Jean-Paul II et seulement 6 dont 2 du Nouveau testament chez Benoît XVI. Une chose est remarquable, ni l’un ni l’autre ne citait l’un des quatre évangiles. Jésus n’aurait-il rien dit qui puisse nourrir notre réflexion sur l’écologie ?

Sans doute est-ce là que le Pape François apporte son originalité. Le second chapitre de l’encyclique s’intitule : L’évangile de la création. C’est dans ce chapitre que l’on trouve plus des trois-quarts des citations contenues dans Laudato si’. Les autres trouvant leur place essentiellement dans la sixième partie, Education et spiritualité écologiques. 16 citations proviennent directement des quatre évangiles. Que nous apprennent-elles ?

  • Tout d’abord que Dieu aime sa création comme un Père au point que son Fils est envoyé s’y incarner. C’est ce que nous rappelle le prologue de Jean et en particulier la citation reprise dans l’angélus : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ». La création n’est pas un lieu indigne de Dieu puisqu’il y demeure concrètement. Parmi toutes les créatures, il en est une en qui il se complaît tout particulièrement, c’est l’homme qu’il a créé à son image et à sa ressemblance.
  • Ensuite, le fait qu’il s’appuie sur les éléments de la création (saisons, graines, le soleil qui se lève, …) montre combien elle est capable de fournir des points d’appui pour ses prédications.
  • Par ailleurs, il se comporte comme le maître de la mer et du vent qu’il apaise.
  • Il valorise non seulement l’homme, mais le travail de l’homme par son métier de charpentier. Il cultive ainsi, par son activité le jardin confié à l’humanité.
  • Il n’est pas un ascète, il mange, boit, participe à des fêtes.
  • Enfin, il vit en relation avec d’autres. Ainsi recommande-t-il ce qu’il faisait sans doute lui-même : de faire l’aumône en toute discrétion.

Tout cela n’a, en soi et dans l’histoire de la théologie de l’Eglise, rien d’original. On trouverait nombre de commentaires chez les Pères de l’Eglise allant dans ce sens. Cependant, ces appuis scripturaires que le Pape est allé chercher, montrent que dans le christianisme, il n’y a pas de dégoût ou de soupçon à l’égard de la création, de la matière, de la nature humaine. La vraie vie ne consiste pas à s’en détacher, voire à s’en libérer, mais à l’habiter et à y vivre saintement. Vous devinez que, sur ce point, le dialogue entre l’hindouisme et le christianisme va se trouver marqué par une vraie différence.

Pour les autres citations du Nouveau Testament, je n’insiste pas. Communes avec les deux messages pour la journée mondiale de la Paix des deux précédents papes, on retrouve deux accents. L’un sur le début de la création dans le passage où le Christ est présenté comme créateur (par lui tout a été créé) dans l’hymne aux Colossiens. L’autre porte sur la fin des temps manifesté dans l’apocalypse (Ap 21, 5) bien sûr ou dans la profession de foi de Paul lorsqu’il espère qu’un jour il connaîtra comme il est connu (1 Co 13, 12).

Le premier Testament, quant à lui, est souvent cité en raison du livre de la Genèse qui propose une vision de la creatio originalis extrêmement déterminante pour notre réflexion mais aussi pour les psaumes où s’expriment la contemplation et l’émerveillement du croyant pour les œuvres de Dieu. Emerveillement d’où provient le titre de notre encyclique.

 

Une théologie de la création ?    

Je ne suis pas sûr que l’objet de l’encyclique soit de nous donner une théologie de la création au sens où ce serait le but poursuivi par le document papal. En revanche, si l’on reprend la distinction que Fabien Revol[13] évoque dans son livre en reprenant le travail de Moltman, creatio originalis, continua et nova, il est clair que c’est surtout une vision de la creatio continua qui se déploie dans l’encyclique.

Je l’ai surtout perçue dans le troisième chapitre où se déploie un long plaidoyer pour le travail (124-129). Il découle directement de Gn 2, 15. Cultiver et garder, « travailler et protéger » la création relève de la vocation fondamentale de l’homme.  C’est la dignité même de l’homme de poursuivre l’œuvre de la création. Le siracide, cité par le pape François, fait l’éloge des ouvriers, des artisans et des sans-grades. Ils ne brillent pas en société et on ne parle pas d’eux sur les places publiques, mais par leur habileté, ils « assurent une création éternelle » Si 38, 34 (124). Et s’appuyant sur une autre citation, toujours de Ben Sirac le Sage, : « Le Seigneur a créé les plantes médicinales, l’homme avisé ne les méprise pas » (Si 38, 4), le Saint-Père nous dévoile qu’il en va du respect de nous-mêmes et de la création que d’en découvrir les richesses et les potentialités. Ainsi, en nommant les animaux, ne commence-t-il pas une taxinomie, un travail de classement ? Partant, il poursuit la manifestation de l’ordre que le créateur a mis dans sa création. Les quelques citations retenues pour l’encyclique montrent combien l’homme par son travail est un acteur dans la création, une créature qui a un statut à part.

Une remarque sur le document des évêques de France, « Enjeux et défis écologiques pour l’avenir » qualifie plusieurs fois l’homme de co-créateur comme une évidence[14]. C’est un concept très délicat à manier[15] car il n’y a pas de « continuité d’être » entre Dieu et l’homme, entre le Créateur et sa créature. En revanche, pour ce qui est de la creatio continua, l’encyclique insiste beaucoup sur la participation de l’homme à l’œuvre de Dieu. Si le terme de co-créateur peut être appliqué à l’homme, ce n’est que par analogie, où l’homme, par les dons qui lui ont été faits, non seulement ordonne la création, mais veille à sa diversité. Repris par François, Jean-Paul II utilisait le terme de « collaborateur de Dieu »[16]. Sans doute est-ce là une expression plus facile d’accès.

 

Le Pape François en déduit qu’il existe une « conception correcte du travail ». « N’importe quelle forme de travail suppose une conception d’une relation que l’être humain peut ou doit établir avec son semblable » (125). Autrement dit, encore une fois, tout est lié. On pourrait dire que le travail qui plait à Dieu est celui qui s’accomplit sous son regard, dans le respect des collaborateurs, pour le bien des hommes et dans une attitude que l’on dira aujourd’hui écologique. Depuis la seconde guerre mondiale et l’entrée dans l’ère nucléaire, de nombreuses études ont montré que les effets des activités particulières de l’homme se poursuivent bien au-delà de son existence. Tant et si bien qu’il ne peut plus en mesurer les effets de son vivant et qu’on ne pourra pas lui demander des comptes pour ce qu’il aura légué de problèmes à résoudre aux générations futures (dettes, pollutions, modification du climat, …). Pourtant, l’urgence n’est plus seulement pour nos enfants, elle est aussi pour nos frères. Benoît XVI, repris par François, affirmait déjà en 2010 qu’« au-delà d’une loyale solidarité intergénérationnelle, l’urgente nécessité morale d’une solidarité intra-générationnelle renouvelée doit être réaffirmée »[17] (162).

 

Ecologie intégrale[18]. Tout est lié.

 

Puisque l’objet de cette étude est de présenter l’évolution des textes du magistère sur la question traitée par l’encyclique, je voudrais vous montrer dans un premier temps que même si le concept d’écologie intégrale est tout récent, la réalité qu’il veut décrire est, quant à elle, bien connue du magistère. Deux exemples suffiront :

Paul VI, dans Populorum progressio[19] écrit au N° 17 : « Mais chaque homme est membre de la société : il appartient à l'humanité tout entière. Ce n'est pas seulement tel ou tel homme, mais tous les hommes qui sont appelés à ce développement plénier. […] Héritiers des générations passées et bénéficiaires du travail de nos contemporains, nous avons des obligations envers tous et nous ne pouvons nous désintéresser de ceux qui viendront agrandir après nous le cercle de la famille humaine. La solidarité universelle qui est un fait, et un bénéfice pour nous, est aussi un devoir. » François ne dit rien d’autre.

Jean-Paul II dans Fides et ratio[20] propose une formule très ramassée au N° 98 : « L'éthique que l'on attend implique et présuppose une anthropologie philosophique et une métaphysique du bien. » L’éthique renvoie à notre relation aux hommes ; la métaphysique du bien au Créateur en qui nous avons mis notre foi ; l’anthropologie au sens de notre humanité. Ces trois dimensions forment un triangle où chaque élément se trouve en relation avec les deux autres d’une manière qui ne manque pas de sens. Laudato si’ se situe dans la même dynamique.

Ce n’est que progressivement que l’Eglise catholique s’est appropriée le terme d’écologie. En ce sens, il faut bien reconnaître que l’Eglise est dans ce monde et qu’elle progresse en intégrant dans sa doctrine un certain nombre de concepts nouveaux. En revanche, la façon dont l’Eglise catholique reprend à son compte le concept d’écologie associée à l’adjectif intégrale montre son sens critique et sa volonté de ne pas réduire l’écologie à une bonne pratique de réduction de consommation des énergies fossiles, de robinets fermés, de recyclage ou de cycles courts dans l’alimentation. J’ai l’impression qu’en fait, le concept d’écologie intégrale prend le relais de ce que l’on appelle le « bien commun » dans la doctrine sociale de l’Eglise. Si nous prenons le N° 1925 du Catéchisme de l’Eglise Catholique qui en donne une définition succincte, nous lisons : « Le bien commun comporte trois éléments essentiels : le respect et la promotion des droits fondamentaux de la personne ; la prospérité ou le développement des biens spirituels et temporels de la société ; la paix et la sécurité du groupe et de ses membres. »

Or, c’est bien là le projet que développe le Pape François dans son encyclique. L’écologie intégrale suppose le respect de la personne dans toutes ses dimensions et de toutes personnes, en particulier les plus faibles ; le souci des plus pauvres[21] et leur inscription dans une vie sociale digne ; un respect de la répartition des biens terrestres, en particulier de l’eau[22], pour éviter les conflits.

S’il y a une originalité de l’encyclique, ce n’est pas dans la doctrine fondamentale qu’elle déploie. Tout est déjà dit depuis longtemps. Mais peut-être que c’est mieux dit, en termes plus accessibles, plus populaires[23]. L’originalité est pour le monde qui n’est pas familier de l’articulation que l’Eglise fait depuis longtemps entre le Créateur, la création et les hommes. Nos contemporains auront du mal à entendre le fait que « tout est lié » comme l’affirme à 10 reprises le Pape François. Il ne sera pas facile d’aller au bout de la cohérence[24] de l’encyclique. Ainsi, si beaucoup de louanges ont été adressées au Pape pour Laudato si’, avez-vous remarqué qu’en France, ce qui avait été dit sur le respect de la vie initiale (120), sur les problématiques de nourriture disponible pour la planète avait fait l’objet de résistances ? Aux Etats-Unis, la frange libérale a qualifié le Pape « d’homme le plus dangereux du monde »[25] pour ses appels à une vie sobre voire à une certaine décroissance (194). Il faut entendre ici une croissance différenciée. Les pays les plus pauvres doivent pouvoir gagner en niveau de vie, en particulier sur le plan de la santé et de l’éducation. Les pays riches, s’ils vivaient avec quelques points de confort en moins vivraient encore très très bien.

Pourtant le Pape a raison. La doctrine d’une croissance illimitée se heurte à l’obstacle insurmontable des ressources limitées de notre planète. Or, si la planète peut satisfaire l’ensemble des besoins de l’humanité (50) elle ne pourra jamais combler toutes les envies des hommes[26]. Il ne s’agit pas seulement de perdre pour perdre mais d’abord permettre à d’autres, aux plus pauvres en particulier, d’avoir accès à une certaine croissance. Il nous faut aussi reconnaître que ce « consumérisme obsessif est le reflet subjectif du paradigme techno-économique » (203). « Plus le cœur de la personne est vide, plus elle a besoin d’objets à acheter, à posséder et à consommer » (204).

Nous accueillerons d’autant plus facilement ce nouveau style de vie auquel nous sommes appelés, que nous aurons donné une place à Dieu et aux autres, que nous aurons pris au sérieux l’évangile du jeune homme riche. Lui qui a tout bon et qui a tout, il sent qu’il a soif de quelque chose de plus : « que me manque-t-il encore ? » Mt 19, 20. En fait, il lui manque de manquer. C’est bien ce que le Christ lui propose : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi. » Mt 19, 21. « A ces mots, il s’en alla tout triste car il avait de grands biens » Mt 19, 22. Au fond le Christ lui propose une décroissance matérielle en faveur des pauvres au profit d’une croissance spirituelle et relationnelle. Je crois que le pape François ne renierait pas cette lecture de l’Evangile qui servit de base fondamentale à l’encyclique sur la morale Veritatis splendor[27] de Jean-Paul II. L’auteur de Laudato si’ ne dit-il pas que « moins est plus » (222). Ce que nous pourrions préciser en « moins de bien pour plus de liens ».

Un autre exemple : celui du gaspillage.

Le Pape François dont on connaît le goût pour les formules affirme au N° 50 : nous savons qu’on gaspille approximativement un tiers des aliments qui sont produits, et « que lorsque l’on jette de la nourriture, c’est comme si l’on volait la nourriture à la table du pauvre ». Déjà, en 1967, Populorum progressio qui rappelle qu’il ne faut pas gaspiller : « Hommes d'Etat, il vous incombe de mobiliser vos communautés pour une solidarité mondiale plus efficace, et d'abord de leur faire accepter les nécessaires prélèvements sur leur luxe et leurs gaspillages, pour promouvoir le développement et sauver la paix » N°84.

Pour revenir à l’objet de cette étude, je crois avoir montré qu’il y a une continuité de la doctrine de l’Eglise sur le fond mais que, d’une part, la forme est plus accessible, et d’autre part, l’intégration des différents éléments est beaucoup plus aboutie et globale.

Education et spiritualité écologiques

Les enjeux éducatifs de l’encyclique peuvent être perçus tout au long de la lettre. Cependant le 6° chapitre qui est en partie dédié à l’éducation écologique nous intéresse tout particulièrement.

Education écologique

Tout d’abord, le Pape reprend avec une détermination farouche son combat contre « le consumérisme obsessif, reflet subjectif du paradigme techno-économique » (203). Il est très important, lorsque l’on lit un texte de cette ampleur de repérer le combat mené par l’auteur. Vous savez comme moi que notre modèle économique moderne repose sur un « consumérisme compulsif » (203) où le mythe de la croissance continue oblige à créer dans un premier temps des désirs pour des produits pas forcément utiles et auxquels on n’avait pas pensé, puis, dans un second temps à nous les vendre en nous proposant de les acheter à crédit, plus tard et plus chers. Le Pape dénonce ce modèle qui laisse croire que nous sommes libres alors que seuls les plus riches sont libres d’accéder à ces nouveaux bien. Par ailleurs, il faut bien noter que les plus modestes voient passer des objets qu’on leur fait miroiter dans leur télévision et qu’ils ne pourront jamais s’offrir. Ajoutez à cela la culture de la non-frustration (très présente au niveau de la sexualité) et qui par contagion, s’étend à tous les produits de consommation, et vous avez une ambiance de colère et de violence qui augmente. Il faut beaucoup de vertus pour être affronté à des sollicitations permanentes et vivre sans aigreur ni ressentiment le fait que l’on n’en bénéficiera jamais.

S’il y a un travail éducatif à faire, c’est d’abord sur une lucidité à propos de cette situation et ensuite de faire découvrir que la véritable liberté est celle qui rend libre à l’égard de ce système. C’est très difficile, j’en conviens. Mais là est le combat éducatif majeur.

Le Pape n’hésite pas à dire que « plus le cœur de la personne est vide, plus elle a besoin d’objets à acheter, à posséder et à consommer » (204). Nous le savons tous, en matière d’éducation, s’il n’y a pas de recette magique, il y a des pratiques qui aident plus que d’autres. Celles qui sont préconisées par le Pape consistent à rendre toute la place à l’intériorité et à la vie intérieure qui conduiront à un « style de vie écologique ». « Les êtres humains sont capables de se regarder eux-mêmes avec honnêteté, de révéler au grand jour leur propre dégoût et d’initier de nouveaux chemins vers la vraie liberté. » (205). Je pense que l’apprentissage de l’intériorité, sa connaissance et en tenir compte dans la conduite de sa vie, n’a pas dû faire partie de votre formation initiale. Cependant, vous l’avez compris, c’est majeur dans l’éducation de notre jeunesse.

Déjà au N° 193, François estimait : « que l’heure était venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties. » Cette décroissance différenciée fait l’objet de nombreux débats. La planète ayant des ressources limitées, il est certain que l’ensemble de la population de la terre ne pourra vivre au niveau des américains ni même au niveau des français.

De ce point de vue, le Pape a une conviction très forte : « moins est plus » (222). Il nous invite à nous rendre compte qu’il ne s’agit pas de perdre pour perdre du niveau de vie. Mais qu’en ayant moins, en étant moins saturés par les biens de consommations, nous aurons plus d’espace intérieur pour l’accueil de l’autre, des pauvres, pour un sens à notre vie. Il n’est pas vraiment le premier à se poser cette question. Beaucoup ici connaissent les expressions de « croissance frugale » chère à Jean-Baptiste de Foucauld où la possession serait remplacée par le service ou encore de « sobriété heureuse » de Pierre Rabhi ».

Au fond, ce que le Pape souhaite nous dire, c’est que le sens d’une vie dépend bien plus de nos relations, de la cohérence avec l’ensemble des « partenaires » que sont la création, nous-même, les autres et Dieu en particulier, que de la quantité de biens de consommation que nous pourrions accumuler. Bref ! « La sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente, est libératrice » (223) nous dit François.

Pour les biens de consommation, je vous propose de pouvoir les trier entre les biens nécessaires pour vivre, utiles à notre vie et futiles. Ce n’est pas toujours facile de trier tous les objets dans des cases. Les frontières sont parfois floues. Ainsi, acheter un tableau pour le mettre dans son salon parce qu’on le trouve beau, est-ce futile ? Le beau est aussi une voie vers Dieu. N’est-il pas vrai ? Pourtant, dans ce cas, comme pour des achats plus futiles, s’il ne faut pas forcément les interdire, au moins que l’on se dise, à côté de cet achat, qu’est-ce que je fais pour ceux qui manquent du nécessaire. Que jamais l’acquisition d’un bien soit prétexte à moins de lien.

Une manière d’aider des jeunes à se construire dans la perspective de l’écologie intégrale et dans l’écoute de leur intériorité est de leur apprendre à distinguer entre le plaisir, la joie et le bonheur. Cette trilogie est opératoire dans le sixième chapitre où elle fait sens. C’est aux numéros 222, 223 et 244 que l’on découvre que tous les plaisirs ne se valent pas et que le bonheur « requiert de savoir limiter certains besoins qui nous abrutissent en nous rendant disponibles aux multiples possibilités qu’offre la vie. » (223). Pour mémoire, je rappelle qu’anthropologiquement parlant, le plaisir est toujours bref, individuel, dans l’instant présent et pas communicable ; la joie est plus durable, se vit souvent à plusieurs, s’enracine dans un passé qui s’accomplit dans mon présent et peut s’étendre à tout un entourage ; enfin, le bonheur est une quête qui nous tourne vers l’avenir, avec une dimension beaucoup plus universelle.

Aller vers sa joie et s’éloigner de ce qui m’attriste sont les deux premiers grands critères pour conduire sa vie sous le regard de Dieu. Cela m’amène à l’autre partie du sixième chapitre, celle qui touche à la conversion.

Contemplation et conversion

En s’avançant vers la fin de cette intervention, il faut se rendre à l’appel de François à vivre une conversion écologique. Quelques numéros (216-221) du sixième chapitre intitulé Education et Spiritualité écologiques lui sont dédiés. Le Pape est un maître spirituel, un disciple de saint Ignace. Il sait qu’en matière de conversion l’essentiel ne se joue pas seulement au niveau des idées, de la compréhension intellectuelle d’un problème, mais bien plus fondamentalement au niveau des profondeurs, là où résident les motivations et les forces qui les accompagnent.

Il dit avec beaucoup de pertinence que la loi ne permet pas de régler tous les problèmes de l’écologie. En effet, lorsque l’on a beaucoup d’argent, on peut être dans les clous de la loi et néanmoins gaspiller. Le vrai moteur alors de notre conversion écologique viendra des motivations intérieures du sujet. On passe ici au registre de la vertu. « Les chrétiens ont donc besoin d’une conversion écologique, qui implique de laisser jaillir toutes les conséquences de leur rencontre avec Jésus-Christ sur les relations avec le monde qui les entoure. Vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu est une part essentielle d’une existence vertueuse ; cela n’est pas quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne. » (217) « C’est seulement en cultivant de solides vertus que le don de soi dans un engagement écologique est possible. »  (211)

La grande question, pour vivre une « conversion écologique » tant au niveau personnel que communautaire est donc de rendre possible une « profonde conversion intérieure » (217). Cela n’est pas possible « sans une mystique qui nous anime, sans ‘’les mobiles intérieurs qui poussent, motivent, encouragent et donnent sens à l’action personnelle et communautaire’’[28] » (216). Le chemin de cette mystique passe par la contemplation du monde (220). Une contemplation qui se fait de l’intérieur.  Je crois qu’il y a tout un travail à faire de ce point de vue : réintroduire, rééduquer les êtres humains à la contemplation. Cela suppose de reprendre goût au temps qui passe et au silence. Chacun voit que dans notre société pressée et bruyante, le travail sera long. Rééduquer au temps long face à la brièveté des événements ; œuvrer à l’intériorité grâce au silence face aux bruits des sollicitations extérieures ; aider à la constance dans une activité face à la tentation du zapping permanent, voilà une véritable mission éducative ! En tant que directeurs diocésains, je ne sais pas comment vous pourrez aider les chefs d’établissements à introduire à ce cheminement vers la conversion écologique, mais il y a là un très beau défi.

Lorsque j’étais jeune, j’ai eu la chance de passer près de deux ans en Mauritanie. Je peux vous dire que par une nuit sans lune, on peut contempler la voie lactée de ses propres yeux. Et c’est magnifique. On peut en faire autant pour les dunes du Sahara au petit matin ou au soir couchant. Je vous assure que ceux qui vivent de telles expériences sont portés à croire en l’existence de Dieu et à le louer pour tant de beautés. Je crois que les psaumes qui chantent la gloire du Dieu Créateur sont le fruit de ce genre d’expérience.

Plus jeune encore, une de mes tantes m’a fait lire Le mas Théotime d’Henri Bosco. On y voit un des personnages apprendre à « goûter » la terre. Plus tard, une fresque de Raphaël dans les musées du Vatican a su m’arrêter longtemps car je me retrouvais dans ce qu’elle représentait.

Vous l’avez compris, la nature, la littérature et toute œuvre d’art peut éveiller et réveiller en nous cette profondeur, unique condition pour une conversion et une conversion écologique en particulier.  

Il est un autre chemin qui permet de rentrer dans cette profondeur, c’est bien évidemment la prière avec tous ses degrés jusqu’à l’adoration devant le mystère du Christ en croix. St Paul s’était résolu au soir de sa vie à ne savoir qu’une seule chose : Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié (1 Co 2, 2). N’oublions pas que si le Christ est mort pour nous, il n’a pas offert sa vie seulement pour nous. St Jean nous a rapporté dans le livre de l’apocalypse la parole du Christ citée dans l’encyclique : « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21, 5). C’est donc toute la création qui bénéficie du salut que le Christ nous a obtenu.

Bref ! Aider les jeunes à faire l’apprentissage de la contemplation et de l’émerveillement sera le point d’appui de toute éducation à l’écologie intégrale.

« Cette éducation tend à inclure une critique des “mythes” de la modernité (individualisme, progrès indéfini, concurrence, consumérisme, marché sans règles), fondés sur la raison instrumentale ; elle tend également à s’étendre aux différents niveaux de l’équilibre écologique : au niveau interne avec soi-même, au niveau solidaire avec les autres, au niveau naturel avec tous les êtres vivants, au niveau spirituel avec Dieu. L’éducation environnementale devrait nous disposer à faire ce saut vers le Mystère, à partir duquel une éthique écologique acquiert son sens le plus profond. Par ailleurs, des éducateurs sont capables de repenser les itinéraires pédagogiques d’une éthique écologique, de manière à faire grandir effectivement dans la solidarité, dans la responsabilité et dans la protection fondée sur la compassion. » (210)

Ainsi donc, nous pourrions dire que c’est non seulement à une conversion mais à la mise en œuvre concrète de cette conversion, à un changement de style de vie, à un changement de civilisation, à une « citoyenneté écologique » (211) que nous appelle François. Désormais, il nous faut voir large autour de nous et loin après nous. Nous ne le ferons que si nous gardons nos yeux sur le mystère de la foi qui nous rappelle que tout nous est donné. Le don garde sa valeur tant qu’on se souvient qui nous l’a offert.

Avec un peu d’audace, je me permets donc d’ajouter un onzième commandement aux dix qui nous sont bien connus : « Honore la création si tu veux que tes enfants aient une longue vie ici-bas sur terre » et dire à leur tour Laudato si’.

Je vous remercie.   

 

13 juillet 2016

+ Bruno Feillet

Bibliographie

Benoit XVI, Si tu veux construire la paix, protège la création, message pour la journée mondiale de la paix, 1 janvier 2010.

Benoît XVI, L’amour dans la vérité (Caritas in veritate), 2009.

François, Loué sois-tu (Laudato si’), 2015.

Jean XXIII, La paix sur la terre (Pacem in terris), 1963.

Jean-Paul II, Pour un vrai développement (Sollicitudo rei socialis), 1988.

Jean-Paul II, La paix avec Dieu créateur, la paix avec toute la création, message pour la journée mondiale de la paix, 1 janvier 1990.

Jean-Paul II, La foi et la raison (Fides et ratio), 1998.

Paul VI, Le développement des peuples (Populorum progressio), 1967.

* * * * *

Catéchisme de l'Eglise Catholique, spécialement la partie concernant le Dieu créateur à partir du N°279-321.

* * * * *

Conférence des évêques de France – Groupe de travail Ecologie et Environnement, Enjeux et défis écologiques pour l’avenir, Bayard/cerf/Fleurus-Mame, Paris, 2012.

Conseil pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, 2005.

Mgr Marc STENGER, « Sauver toute la création » in Sauver la création, Ecologie enjeu spirituel, Parole et Silence, 2015, pp. 37-47.

Mgr Pascal Wintzer, « Présentation » in Sauver la création, Ecologie enjeu spirituel, Parole et Silence, 2015, pp.7-19.

Observatoire Foi et Culture de la Conférence des évêques de France, Sauver la création, Ecologie enjeu spirituel, parole et Silence, 2015.

* * * *

Pierre COLIN, « Ambiguïtés du mot ‘’nature’’ » in La vie spirituelle – Le supplément, N° 81, mai 1967, pp. 251-268.

Olivier LANDRON, « La question écologique dans l’Eglise catholique de Paul VI à Benoît XVI » in Prêtres Diocésains, N° 1509, août-septembre 2014, PP. 306-313.

Fabien REVOL, Le temps de la création, Cerf, Paris, 2015.

 


[1] C’est au XIX° siècle que ce néologisme a été inventé, dans le laboratoire d’un zoologiste allemand, Ernst Haeckel, dans son histoire de la Création publié en 1866 : « Par écologie, nous entendons la science des rapports des organismes avec le monde extérieur, dans lequel nous pouvons reconnaître d’une façon plus large les facteurs de la ‘lutte pour l’existence’ ». Il est composé de deux racines grecques : oiko, « la maison » et logos, « le discours » pour parler de la nature comme d’une maison commune.

 

[2] Jean-Paul II, La splendeur de la vérité (Veritatis splendor), 1993.

[3] Saint François d’Assise, nommé patron céleste des écologistes par Jean-Paul II en 1979.

[4] « Cette sœur crie en raison des dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés en elle. » Laudato si’ N°2.

[5] Académie pontificale pour la vie et le Conseil pontifical Justice et paix.

[6] Pascal Wintzer, « Présentation », in Sauver la création, Ecologie enjeu spirituel, p. 9.

[7] Marc Stenger, « Sauver toute la création » in Sauver la création, Ecologie enjeu spirituel, p. 45.

[8] Pierre Colin, « Ambiguïtés du mot nature » in Le supplément, 1967, PP. 251-268.

[9] Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 37 : AAS 83 (1991), 840.

[10] Cité par Olivier Landron, p. 307. Cf. Bibliographie.

[11] Concile Vatican II, « Dei Verbum », N°24.

[12] Concile Vatican II, « Optatam Totius » N° 16.

[13] Fabien REVOL, Le temps de la création, Cerf, Paris, 2015, p. 96.

[14] Cf. pp. 29 ; 30 ;

[15] Fabien Revol montre dans son ouvrage Le temps de la création, qu’il y a une manière possible de construire ce concept de création co-créatrice ou encore de considérer l’être humain comme co-créateur. Voir en particulier les pages 231 ; 233 ; 304 ; 318-319.

[16] Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 37 : AAS 83 (1991), 840.

[17] Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2010, n. 8 : AAS 102 (2010), 45.

[18] Expression déterminante dans la pensée du Pape. Elle aurait pu constituer le titre de l’encyclique. Elle revient 8 fois.

[19] Paul VI, Le développement des peuples (populorum progressio), 1967.

[20] Jean-Paul II, La foi et la raison (Fides et ratio), 1998.

[21] Cités 61 fois dans l’encyclique !

[22] L’eau fait l’objet d’un sous chapitre aux N° 27-31.

[23] Au sens où toutes les couches de la population peuvent comprendre facilement ce dont il s’agit.

[24] Ce 26 août 2015, lors de la catéchèse du mercredi, Le pape François a exhorté mercredi les chrétiens dans le monde entier à assumer "des styles de vie cohérents" avec la sauvegarde de "la création" de Dieu.

[25] C’est l’ineffable Greg Guffeld, le chroniqueur de Fox News, qui a considéré le pape François comme « l’homme le plus dangereux du monde ». Cité in : http://www.atlantico.fr/decryptage/paradoxe-francois-pape-qui-fascine-exterieur-vatican-mais-qui-arrive-pas-convaincre-interieur-bernard-lecomte-2213866.html.

[26] Expression entendue au Sommet des consciences pour le climat le 21 juillet 2015.

[27] Jean-Paul II, La splendeur de la vérité, 1993.

[28] Benoît XVI, Homélie pour l’inauguration solennelle du ministère pétrinien (24 avril 2005) : AAS 97 (2005), 710.