Bonheur de vivre en famille

Raismes 1 octobre 2000

Introduction

Mieux que nous sans doute, vous savez que la famille est toujours la valeur N°1 en France. Les sondages abondent qui attestent combien « la famille fait rêver les français ». Ils restent encore deux tiers des couples à vouloir se marier. Au demeurant, il existe d’autres formes de vie conjugale en France et si vous le souhaitez nous en reparleront.

Au moment où nous avons préparé cette conférence de presse avec ce titre « le bonheur de vivre en famille » nous ne savions pas que Ségolène Royale allait sortir une mallette à propos de l’éducation sexuelle ayant pour titre « le bonheur d’aimer ». Aussi je voudrais développer brièvement deux ou trois réflexions qui sont menées dans l’Eglise autour de la vie de famille tout d’abord, mais aussi autour de notre approche du bonheur. Et je concluerai mon intervention sur la nécessité d’articuler, plus que ça ne l’est aujourd’hui la parentalité et la conjugalité.

 


Ce qui se joue dans la famille

Parmi beaucoup de points importants, je voudrais souligner quatre éléments essentiels sur ce qui se joue dans une famille. Au niveau du couple, au niveau des enfants, au niveau de la société et au niveau de la foi.

Au niveau du couple, toute expérience conjugale relève de ce mystère si peu valorisé aujourd’hui que l’on choisit de faire dépendre son bonheur d’un autre alors que tout nous pousse à maîtriser notre vie. Et c’est justement le charme et la profondeur de l’amour conjugal que d’éprouver l’autre comme celui qui a choisi de m’aimer avec mes limites. Autrement dit, dans cette relation complexe, chacun reconnaît qu’il ne peut parvenir au bonheur sans l’autre, et chacun reconnaît qu’il ne peut suffire au bonheur de l’autre. Et curieusement, c’est au prix de ce deuil du couple parfait, que justement, le bonheur va devenir accessible. L’expérience de l’Eglise ira jusqu’à dire que la vie conjugale s’appuie sur trois pôles : l’Amour, la sexualité et l’Alliance avec la volonté de mener à bien ce projet.

Au niveau des enfants, vous savez qu’ils s’épanouissent d’autant mieux qu’ils ont leurs deux parents. Le cadeau le plus précieux que des parents peuvent faire à leur enfant, c’est leur présence commune dans l’effort de vivre une famille, leur famille. C’est dans ce contexte que les enfants acquièrent le mieux possible leur identité sexuée et un rapport ajusté au temps et à l’autorité, bref qu’ils adviennent à eux-mêmes comme personne.

Faut-il le dire, la fécondité sociale des familles est l’aboutissement logique des deux premiers niveaux. Nous savons que trop, hélas combien les divorces déstructurent les enfants et les jeunes jusque dans leur parcours scolaire ; ce qu’ils coûtent à la société aux entreprises et aux familles elles-mêmes ; ce qu’ils favorisent la délinquance sans en être pour autant la cause. Bien au contraire, les familles qui tiennent bon et qui pourtant affrontent les mêmes problèmes que les autres donnent une stabilité à la vie sociale des quartiers et sont souvent des références. L’Eglise n’a pas le monopole de ces familles, bien sûr et heureusement. L’état n’aurait-il pas « intérêt » à oeuvrer à la stabilité des familles et donc aussi des couples ?

Enfin, au niveau de la foi, les chrétiens reconnaissent que dans cette cellule de vie tout à fait originale, peut s’expérimenter Dieu lui-même. En effet, n’est-il pas celui qui en Jésus-Christ a montré que l’amour vécu en termes de don et d’accueil est le seul qui est capable de ressusciter toute mort ? Se donner et s’accueillir pour des couples, dans l’intime de la vie conjugale, dans le partage de l’argent gagné, dans les difficultés et les joies, c’est faire l’expérience de Dieu. C’est pour cela que c’est un sacrement.

Autrement dit, si la vie de famille ce n’est pas toujours le paradis, en revanche elle peut y conduire.

 


Que faut-il entendre par bonheur ?

Si tout le monde est sans doute d’accord pour dire que l’important c’est de trouver le bonheur, il reste que bien des contenus sont attribués à ce mot. Que ce soit au ministère de l’éducation nationale ou dans l’Eglise. Je voudrais ici développer ce que l’Eglise entend par bonheur en l’articulant avec les notions de plaisir et de joie.

Commençons par le plaisir si vous le voulez bien. Contrairement à ce qui est trop rapidement véhiculé dans les chaumières, l’Eglise n’est pas contre le plaisir, elle le reçoit comme un don de Dieu, mais elle n’en fait pas pour autant un but en soi. Le plaisir a une grande affinité avec le présent, l’instant. Mais, nous le savons d’expérience, il est fugace et superficiel.

La joie, quant à elle, se goûte en référence à une histoire qui s’accomplit réellement et par laquelle je m’épanouis. Elle a une grande affinité avec le passé et la fidélité à une parole donnée. Ce qui avait été envisagé, prévu, espéré, voilà que nous l’avons réalisé. La joie, est durable et profonde. La joie ne peut se fabriquer à la commande. Ainsi personne ne peut revêtir les habits de fête d’un dixième anniversaire de mariage avant le jour prévu.

Le bonheur, enfin, nous est promis au terme de notre vie, à la résurrection. Non seulement il a une grande affinité avec le futur, mais il est encore éternel et englobe toute la personne.

Et lorsque nous vivons des moments d’exception, d’unité, de fidélité, d’accomplissement du projet conjugal et familial, alors nous pouvons goûter à ses trois dimensions simultanément, chacune recevant sa plénitude d’être associée aux deux autres, en ne se clôturant pas sur elle-même. Au fond, le temps est l’allié du bonheur.

Dans notre société, nous voulons trop souvent tout, tout de suite, quitte à payer à crédit. Or tout spécialement en ce qui concerne la vie affective, prendre à crédit, c’est devoir payer plus cher plus tard. L’Eglise a cette sagesse à propos des relations humaines qu’elle sont comme ses armoires livrées en kit. Si on ne suit pas le mode d’emploi, il faut tout démonter pour remonter dans le bon ordre avec un matériel fragilisé. Vu l’investissement affectif que supposent les relations humaines, autant commencer dans le bon ordre.

La mallette « Le bonheur d’aimer » fournie par le ministère de l’éducation nationale laisse entendre qu’il suffit de l’ouvrir pour trouver le bonheur. Même si le verbe aimer dans sa forme verbale est intéressant, j’aurais préféré un titre un peu plus réaliste comme : « Le bonheur d’apprendre à aimer ». Deux raisons à cela : d’une part, à l’âge adolescent, on est instable dans ses relations affectives. Tous les éducateurs vous le diront. User du mot « aimer » comme les adultes peuvent l’entendre dans notre société pluraliste me paraît difficile en raison du décalage de maturité. D’autre part, avec un titre qui dit qu’aimer ça s’apprend, et pas simplement au niveau technique mais surtout au niveau du sens rendrait bien mieux compte de l’importance du temps dans les relations affectives surtout à l’âge adolescent où beaucoup se joue de manière pulsionnelle. Croyez-moi, les jeunes savent trop bien et en ont assez qu’on leur disent comment un pénis rentre dans un vagin. J’entendais plutôt à la radio des demandes de sens et comment faire pour qu’un couple ça tienne. Je me souviens encore de cette jeune fille de vingt ans m’écrivant « Voilà trois mois que je sors avec Pierre, un vrai record ! ».

 


Soutenir les enfants implique de soutenir aussi la conjugalité

Pour conclure, je voudrais articuler mes deux points en disant que si la société veut le bonheur des jeunes, ça tombe bien, l’Eglise aussi. Jean-Paul II, pour le Jubilé a mis l’accent sur les enfants et les jeunes en intitulant son programme « Les enfants, printemps de la famille et de la société ».

Si nous voulons vraiment de ces printemps qui font chanter le quotidien, alors il faut soutenir les couples, et les parents pour qu’ils soient vraiment la présence aimante et éducative dont les enfants et les jeunes ont vraiment besoin. On ne peut pas vouloir soutenir la parentalité (encore qu’on la diminue en diminuant l’autorité parentale à l’égard des avortements sur mineures), on ne peut vouloir sérieusement cette parentalité pour le bien de l’enfant tout en affirmant qu’au niveau de la conjugalité, les adultes peuvent faire ce qu’ils veulent.

Nous sommes nombreux dans l’Eglise, à dire qu’il faudrait une préparation au mariage civil, pour le bien des époux eux-mêmes et pour le bien des enfants. Puisque les autorités civiles abordent les questions de la famille par le biais du bien de l’enfant, alors nous le prendrons au mot. Mais au moins qu’il nous fasse la grâce d’un peu de cohérence. Le bien des enfants et des jeunes passe par le soutien des couples et de leurs parents.