Les valeurs sont-elles en libre service

Raismes 23 septembre 2001

Introduction

L’intervention de ce matin s’origine dans la demande d’y voir plus clair du point de vue moral sur cette impression assez répandue ou du moins galvaudée qu’il n’y a plus de valeur, que tout fout le camp, qu’aujourd’hui n’est plus comme hier…

Dans cette ambiance générale, les chrétiens ne se sentent pas toujours à l’aise. Etre minoritaire du point de vue de la foi, ce n’est déjà pas facile mais si en plus il faut l’être du point de vue moral, on a l’impression de ne pas en voir le bout.

Quel est, quel peut être encore l’influence de l’Eglise dans ce domaine ? Faible soyons-en sûrs. Notre archevêque le rappelait à la journée des secteurs pour les équipes Notre-Dame, cette année.

 

Mon propos sera donc de mettre de l’ordre dans tout cela. Dans une première partie, il consistera à poser de manière plus consistante quelques unes des causes du trouble que nous vivons. J’évoquerai avec vous la question du monde libéral et de la mondialisation dans lequel nous vivons, que nous le voulions ou non. Ensuite, je manifesterai devant vous que loin d’être dans un monde sans repère, nous sommes dans un monde du supermarché des repères (ce qui est cohérent avec le monde libéral). Dans un second temps, je tâcherai de présenter en six points comment, nous les chrétiens, nous pouvons vivre dans ce monde.

S’intéressant tout spécialement au point de vue moral, l’exposé n’insistera pas sur quelques aspects de théologie fondamentale sur lesquels il conviendrait d’insister tout particulièrement : ce que Henri Jérôme Gagey décrivait comme le « oui et le non de Dieu sur le monde ». Souvenons-nous que ce monde, notre monde, Dieu l’aime si fort qu’il a envoyé son Fils pour le sauver. Ce qui dit à la fois l’estime de Dieu pour sa création, la souffrance du péché dans laquelle elle s’est fourvoyée mais aussi sa capacité de participer à son salut ce qui en manifeste toute la dignité intrinsèque.

 

 

 

Les sources de notre trouble


Un monde libéral


La société de consommation repose sur le dynamisme de cette consommation. On l’entend suffisamment, la consommation est le moteur de la croissance. Mais, le monde économique perturbe depuis longtemps déjà le présent de notre vie. Pour pousser à la consommation, il crée des désirs et suscite leur assouvissement dans la foulée. Si l’on ajoute à ce paysage la culture de la « non-frustration », chacun comprendra combien la sexualité, lieu de puissants désirs, peut-être marquée par un tel environnement. Aujourd’hui, le plaisir est devenu un tyran.

Ce libéralisme se fonde aussi sur une culture de l’initiative individuel. Quoiqu’on en dise, les valeurs sociales ont du mal à résister.

Enfin, nous connaissons bien un des aspects de la mondialisation (je n’évoque pas la complexité des jeux économiques) celui de la mise à disposition immédiate de toute information, de tout mode de vie, de toute morale sur notre table, à la radio, à la télé ou sur internet. La coexistence de systèmes éthiques dans les médias ne peut pas ne pas causer des troubles et des bouleversements. Voyons cela de plus près.

 

 

Un monde pluri Ethique


Les éthiques de la responsabilité (Max Weber, Emmanuel Lévinas et le visage de l’autre, Hans Jonas et son principe responsabilité que les politiques ont converti en principe de précaution). Avec le risque du situationnisme ou du conséquentialisme et d’un certain immobilisme politique.

Les éthiques procédurales. Avec le risque que les valeurs produites soient déconnectées d’une vision globale de la dignité humaine.

Les éthiques utilitaristes. Avec le risque de trouver acceptable qu’il y ait des victimes du progrès.

Les éthiques libérales. Avec le risque d’une vision pessimiste de l’homme

Les éthiques communautariennes. Avec le risque sectaire ou des totalitarismes.

 

Notre passE n’est pas si glorieux que cela
Lorsque l’on a l’impression que notre présent ne va pas, on a toujours tendance à idéaliser le passé. Or un peu d’histoire nous rappelle que tout n’était pas si rose.

Il faut bien se dire lors de la période d’industrialisation, fin XVIII° mi-XIX°, la montée dans les villes, le changement des rythmes de vie, la promiscuité des logements, … ont bouleversé considérablement la vie affective des gens. Et c’est l’état qui pour stabiliser cette population a imposé que L’Eglise célèbre gratuitement les mariages.

Un médecin de Paris disait alors qu’il était bien rare de trouver un jeune homme de 17 ans qui soit encore vierge.

Un siècle plus tôt, on trouve dans certaines régions un taux de 80% de naissances hors mariage.

 

Tout cela ne nous console pas des écarts et des difficultés d’aujourd’hui, mais cela permet de nous dire que la situation n’est si catastrophique que cela.

 

 

 

Mettre de l’ordre dans nos repères


Qu’est-ce qu’un acte moral ?


Intention – Moyen – Fin (conséquence). Pour qu’un acte moral soit bon, il faut que ses trois composantes soient bonnes. Il peut arriver que la fin obtenue ne soit pas à la hauteur des espérances. Mais si tout avait été mis en œuvre pour l’obtenir, cela n’entâche pas la valeur morale de l’acte.

Ce que la sagesse populaire connaît bien par l’usage de quelques proverbes :

· L’enfer est pavé de bonnes intentions.

· La fin ne justifie pas les moyens.

 

Le goût pour le bien : une anthropologie fondamentale


Il n’est jamais permis de faire le mal et l’on doit toujours faire le bien.

La nature du bien n’est pas toujours connue de manière évidente

Mais suivre sa conscience que l’on éclaire est un chemin sûr pour progresser (GS 16).

Cette anthropologie se fonde sur le fait que l’homme est créé à l’image de Dieu et qu’il est appelé à le rejoindre, lui le Souverain Bien, dans la béatitude éternelle. Comme le dit si bien st Thomas d’Aquin reprenant l’ecclésiaste : « l’homme a été confié à sa propre providence ».

 

L’Ethique des vertus


La vertu est une disposition intérieure, acquise et mise en œuvre régulièrement. Elle est une voie moyenne entre deux extrêmes, deux vices au dire d’Aristote (lâcheté – courage – témérité). Le progrès dans la vertu se fait dans l’excellence.

Je modifie cette approche au profit d’un moteur à quatre temps : lâcheté – prudence – courage – témérité. Les vertus s’équilibrent et ce système laisse de la place à un jeu d’interprétation et à la diversité des psychologies.

Les quatre vertus cardinales : prudence, justice, force et la tempérance organisent toutes les autres. En régime chrétien, la charité est la forme de toutes les vertus.

 

Un juste rapport au temps


Passé         présent     futur
Joie            plaisir        bonheur
Particulier   singulier    universel

 

 

Un beau langage


Avoir un beau langage pour décrire les diverses dimensions de notre vie est fondamental. En effet, les mots colorent notre imaginaire, guident nos gestes, donnent sens à nos actes. En particulier pour tout ce qui touche à la vie familiale et sexuelle.

Chez les enfants en particulier, l’apprentissage tôt à un beau langage et la résistance aux « gros mots » met sur la voie d’une certaine maîtrise de soi pour plus tard sur une approche plus ajustée de leur vie affective et de l’autre sexe.

 

Un concept de tolérance.


Chacun fait ce qu’il veut

Des éléments contradictoires peuvent coexister

Etant donné que l’adhésion au bien ne peut s’imposer, alors il faut patienter pour peu que la communauté ne se sente pas en danger. (Tolérable comme supportable).

© Bruno Feillet