Discerner en politique

Quelques critères modestes mais utiles pour une première approche du discernement en politique.

Discerner en politique

 

Le pluralisme éthique et l’unité d’un pays

C’est un fait que, lorsque l’on est un homme ou une femme politique, on se doit de penser pour une population d’une part qui n’est plus du tout homogène quant aux valeurs qui sont les siennes et d’autre part qui n’a pas voté à 100 % pour vous. La mondialisation amène sur nos écrans une multitude de comportements et de positionnements sans cesse légitimés au titre d’un individualisme toujours plus valorisé. Et pourtant, le rôle des parlementaires est de prendre des décisions pour l’ensemble des 67 millions de personnes de notre pays. Bref ! il s’agit donc d’introduire via l’élaboration et le vote des lois une solidarité de destin sur un socle commun en-deçà duquel il n’y aurait plus de pays et de nation. Immense défi lorsque l’on considère que tout le monde ne se retrouve pas derrière la majorité qui a le pouvoir de décider pendant cinq ans.

De plus, il y a la réalité de la vie politique. Seul, on ne peut pas grand-chose. A plusieurs, on est plus efficace. C’est l’intérêt des partis politiques. La solidarité de parti rencontre aussi la diversité des opinions des personnes au sein même du parti. Comment vivre le débat qui fait droit à la diversité légitime des opinions sans perdre la force d’un parti et sans tomber dans l’image d’un « parti godillot » aux ordres d’un gouvernement ou d’un bureau politique, voilà un autre véritable défi.

Enfin, il est à souhaiter que chaque personne investie en politique ait ses propres valeurs personnelles. Le plus important, c’est d’en avoir, de les connaître et de les reconnaître comme les points d’appui de sa propre pensée personnelle. Celles et ceux qui n’ont pas de valeurs personnelles sont voués à être ballotés au gré des vents et des flots. Comme on dit, nul bon vent pour celui qui n’a pas de cap.

Valeurs personnelles sans compter nombre de doutes ou d’incertitudes (et qui peut être au clair sur la multitude de sujets qui sont abordés à l’assemblée nationale ?), orientations d’un parti, pluralisme éthique de fait dans un pays, le personnage politique se trouve au confluent de toutes ces tensions. Et jamais elles ne s’apaisent vraiment.

 

Face à la loi insatisfaisante

Dans ce cadre, tout le monde constate que la société évolue en raison de mutations technologiques, de déplacements d’opinions collectives, de contextes internationaux mouvants sur lesquels nous n’avons que peu de prises…

Les lois deviennent alors inappropriées, inadaptées, insatisfaisantes. C’est pourquoi, on se pose la question de les faire évoluer ou de les changer radicalement. Et faire des lois au seul principe qu’il faille s’adapter aux mentalités changeantes et plurielles n’est pas non plus très enthousiasmant.

Cette question n’est pas nouvelle. Et si vous me permettez de faire référence à un grand moraliste du XVIII° siècle, Saint Alphonse de Ligori, nous avons chez lui une approche intéressante. Surdoué de sa génération, il était avocat à 16 ans au barreau de Naples. A 20 ans, il entrait dans les ordres puis il a fondé l’ordre des Rédemptoristes avant de finir évêque dans la banlieue de Naples.

Il a été confronté en son temps à un débat qui a paru longtemps insurmontable. Lorsque la loi (morale) était incertaine, douteuse, que convenait-il de faire. D’aucuns pensaient qu’il fallait se réfugier malgré tout du côté de la loi. Ce rigorisme paraissant le plus sûr. D’autres estimaient que dès lors, puisque la loi n’était plus sure, on pouvait faire ce que l’on voulait, que la liberté l’emportait au risque de paraître laxiste. Vous le sentez bien, entre les rigoristes et les laxistes, le débat fut sans fin. Saint Alphonse est sorti par le haut de ce conflit insoluble en proposant la solution suivante.

Lorsque la loi est devenue incertaine, il faut, et dans cet ordre,

  1. Chercher la vérité
  2. Travailler en conscience
  3. Exercer sa liberté

La vérité

Déterminer ce qui est vrai est une question aussi vieille que le monde. Un certain Ponce Pilate, bien connu de nos services, si j’ose dire, se posait aussi la question « qu’est-ce que la vérité ? ». Permettez à l’évêque que je suis de dire que les chrétiens trouvent dans les Evangiles et en particulier dans les paroles et les actes de Jésus-Christ les ressources qui disent la vérité sur l’homme et les manières de se comporter entre nous. C’est là que nous unifions notre vision commune. Je peux tout-à-fait comprendre qu’il y ait d’autres lieux de références religieuses ou philosophiques. Ce qui m’intéresse, c’est comment ces différentes visions permettent de produire des règles universalisables comme la règle d’or : « Ne pas faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas que l’on nous fasse » que la tradition populaire a traduit sous la forme des trois adages qui différencient les niveaux de décision :

            - « Et si tout le monde faisait comme toi ? ». Il s’agit de prendre en compte l’universalisation de ses actes. Emmanuel Kant apprécierait.

            - « Chez nous, ça ne se fait pas ! ». Expression qui renvoie au fait qu’il peut y avoir des règles particulières dans des groupes déterminés, comme une famille, une culture locale, … Et c’est bien légitime.

            - « Ce sont tes affaires ! ». Il est aussi possible de considérer qu’un certain nombre de décisions concernent la personne elle-même et n’engage pas forcément la vie du groupe ou de l’humanité tout entière.

Bref ! La vérité est ce qui permet de m’unifier dans ce monde qui est le mien et le nôtre. Et ce n’est pas parce que chacun pourrait voir midi à sa porte que, pour autant, il n’y aurait pas de midi. Tenir compte de l’objectivité du réel est une rude école.

 

La conscience morale

Le travail de la conscience morale est évidemment d’une grande complexité. Dans la tradition chrétienne, nous pensons qu’il s’agit d’écouter cette loi intérieure qui nous dit de faire le bien et d’éviter le mal. Et qu’en aucun cas, il n’est permis de faire un mal que l’on sait être un mal.

Ce goût du bien et le dégoût du mal ont besoin d’être éduqué, incarné. C’est la famille qui, en premier lieu en a la charge, puis l’école, la société, … On devine assez bien les tensions qui peuvent exister entre ces différentes instances, mais la synthèse appartient à la personne elle-même qui va chercher en conscience où elle va s’unifier. On peut faire des erreurs de bonne foi. Mais le pire serait de ne jamais chercher la vérité.

 

La liberté

Enfin, il nous faut exercer notre liberté et prendre nos responsabilités. Cette liberté est à mettre en œuvre dans l’espace que j’ai précédemment décrit. Elle n’est pas indépendante de la vérité et de la conscience morale.

La liberté est un concept polysémique, aux nombreuses significations. Le sens le plus pauvre serait de croire qu’est libre celui qui fait ce qu’il veut. A vrai dire, il est préférable de dire qu’est libre celui ou celle qui veut ce qu’il ou elle fait.

Plus profondément, est libre celui qui est libéré. L’acte le plus libre est en ce sens celui qui est le plus libérant. Entendons par là la décision qui ouvre des possibles.

 

Compromis et compromission

C’est là sans doute qu’il convient d’examiner la dernière grille de lecture que je voudrais exposer devant vous. Il s’agit de distinguer entre ce qui relève du compromis et ce qui nous fait tomber dans la compromission.

Le compromis porte sur un accord, un contrat, dont les termes expriment le choix du meilleur possible pour l’ensemble des parties prenantes. Pas forcément le meilleur pour soi, mais le meilleur possible pour l’ensemble des parties.

La compromission porte sur l’être de la personne. En acceptant tel ou tel accord, celui qui est compromis perçoit qu’il renonce à sa propre vision, qu’il se perd et se renie lui-même. Cela n’a rien à voir avec une pensée qui évolue et progresse et où la perception de la vérité s’affine. Le philosophe Jean Nabert, le maître de Paul Ricoeur, n’hésite pas à dire qu’il existe un péché sous la forme du « resserrement de son être ».

Il n’y a qu’une conscience morale droite pour juger au fond de soi si, en passant tel ou tel accord, on passe du compromis à la compromission. Et sans jeu de mot, avoir une conscience droite, c’est être droit avec sa conscience.

 

Je vous remercie.

 

+ Bruno Feillet

Novembre 2018