III. VERIFICATION DE L’HYPOTHESE.

 

A. CONTEXTE DE L’ENQUETE.

1. La décision au mariage : un choix très complexe.

Il n’est pas très difficile de se convaincre de la complexité d’une décision au mariage. Au niveau psychologique, par exemple, les études ne manquent pas qui montrent que l’on a pu chercher dans le conjoint des « objets » que l’inconscient se garde bien de mettre en avant.
Denis Sonet (80) propose par exemple la liste suivante :
• Le mariage – refuge.
• Le mariage – pure formalité.
• Le mariage – droit de propriété (où l’un domine l’autre).
• Le mariage – façade pour remplacer l’amour.
• Le mariage – liste de mariage.
• Le mariage – sécurité financière.
• Le mariage – régulation de grossesse.
• Le mariage – pour faire comme tout le monde.
• …
Et l’on pourrait allonger la liste à volonté :
• Le mariage – alibi pour quitter ses parents.
• Le mariage – avec un malade pour réussir ce que ses parents ont raté.
• Le mariage – béquille où l’autre pallie un manque de maturité de ma part.
• Le mariage – anti-solitude.
• …

Il existe aussi des motivations de mariage qui relèvent plus de critères sociologiques ou professionnels :
• Ouvrir un commerce ensemble.
• Rapprocher des terres.
• Pour accéder à telle ou telle profession (à risque) qui ne prennent que des gens mariés (pour renforcer la prudence des agents).
• Parce que l’on est du même milieu social.
• …

Comme on le voit, les ambiguïtés psychologiques ne manquent pas. Nous ne voulons cependant pas dire que malgré ces ambiguïtés il est impossible de bâtir une vie conjugale où chacun reçoit l’autre comme un partenaire égal dans la destinée du couple. Les échecs conjugaux sont cependant parfois liés à des ambiguités que l’on a trop vite ignoré.

Enfin, n’ignorons pas les motivations ordinaires pour un mariage, très souvent mises en avant par les futurs conjoints et qui sont indispensables à la solidité d’un couple :
• Pour s’aimer.
• Pour avoir des enfants ensemble.
• Pour affronter la vie, ses joies et ses peines, ensemble.
• Pour vieillir ensemble.
• …

Tous ces éléments peuvent entrer dans les motivations conscientes et inconscientes qui conduisent à prendre la décision d’un mariage, et plus particulièrement de célébrer le rite du mariage (81). Nous souhaitons, quant à nous, repérer le poids du statut professionnel dans une décision au mariage. Si l’on désire se marier pour des fins diverses, conscientes et inconscientes, on peut aussi se marier parce que un certain nombre de critères sont passés au vert et qui rendent concrètement possible l’accès au rite du mariage : âge minimum, maturité psychologique, critères légaux et médicaux, l’argent pour faire la fête, aptitude professionnelle, exercer un métier…
Nous voulons tout particulièrement essayer de peser le poids d’un emploi effectif chez l’un au moins des conjoints pour célébrer ce rite du mariage. La difficulté est d’en isoler l’influence propre alors que nous avons montré l’extrême variété des motivations qui conduisent à la décision d’un mariage.


2. Comment isoler le facteur « statut professionnel » dans les préalables à toute décision au mariage ?


Alors que l’on est incapable de mesurer le poids relatif des multiples éléments entrant dans la décision d’un mariage, il est en revanche probable, à titre d’hypothèse de travail, que la brusque variation d’un seul de ces facteurs peut être comprise comme la cause de la variation principale de l’ensemble du système étudié. Ainsi la violence des crises économiques tant au niveau national, régional que local que nous avons connues depuis 1973 doit pouvoir nous aider à repérer assez précisément l’influence du facteur que nous cherchons à isoler. C’est-à-dire qu’il nous a semblé a priori possible que le niveau de chômage était une manière de distinguer ceux qui avaient un statut professionnel de ceux qui n’en avaient pas.
Nous avions pour hypothèse de travail que plus l’analyse se ferait au niveau local et plus nous pourrions « piéger » l’influence d’une crise économique sur le taux de nuptialité. Du moins, c’est ce que nous pensions avant de mener notre recherche. Le lecteur verra néanmoins que même si les courbes statistiques du chômage et du mariage ne témoignent pas de pics très nets au niveau local, elles restent éloquentes pour notre sujet. Le niveau national, comme on le verra, s’avérera tout à fait suffisant pour notre démonstration.

 

3. Justification du choix de la méthode des statistiques


Nous avons choisi une approche statistique pour enquêter sur notre sujet. La raison principale est notre refus méthodologique de nous intéresser, dans cette étude, à l’aspect psychologique de la décision au mariage. C’eût pu être une démarche possible. Mais alors il aurait fallu procéder à des enquêtes par interview et à des techniques d’entretiens et d’analyses que nous ne maîtrisons pas. Par ailleurs, une telle méthode suppose aussi du temps dont nous ne disposons pas plus.
L’intérêt des statistiques est de porter sur les tendances lourdes de la pratique de nos concitoyens. De plus comme notre étude rassemble des données sur les décisions passées et déjà enregistrées, l’enquête elle-même ne peut influer sur le résultat brut, restant sauves les hypothèses de départ et l’interprétation des données. En revanche, dans une enquête par entretien, il aurait été d’une part extrêmement difficile pour ne pas dire impossible de « piéger » dans le discours des motivations passées qui ne seraient pas relues par la situation du moment de l’enquête. D’autre part, la présence même de l’enquêteur peut elle-même influencer les enquêtés. L’ouvrage de Jean-Claude Kaufmann sur la trame conjugale montre aussi combien l’interview du conjoint seul ne donne pas le même résultat que lorsque les deux conjoints sont interviewés ensemble.
Enfin, l’intérêt du choix de s’appuyer sur le matériau des statistiques repose sur le fait qu’elles existent déjà à l’état brut. Mais comme on le verra, s’il existe ici ou là dans de nombreux articles des allusions au rapport qui existe entre chômage et mariage, nous n’en avons pas trouvé qui soit centré principalement sur cet objet. C’est, nous l’espérons, l’intérêt de notre travail que d’avoir essayé de le faire.


a. Fiabilité des données


Les sources statistiques auxquelles nous puisons proviennent essentiellement des études INSEE au niveau national, de l’antenne régionale de Lille de l’INSEE ainsi que du Bureau Régional du Travail et de l’Emploi de Lille. Au niveau très local comme la ville de Valenciennes ou la chambre de Commerce, soit ils ne possèdent pas de données, soit celles qu’elles fournissent leur proviennent des deux institutions précédemment citées.
Nous n’avons pas ici à mettre en doute la qualité des données recueillies. L’INSEE et le BRTE (qui reçoit d’ailleurs ses données en partie par l’INSEE) fournissent un travail dont la qualité est reconnue internationalement.
Il reste qu’une simple observation des tableaux statistiques doit garder le chercheur de toute tentation de croire qu’en les lisant il saisit la réalité telle qu’elle fut. En effet, comment comprendre qu’en 1990, année de recensement, le nombre d’hommes mariés (12 773 296) soit supérieur de 170 208 unités par rapport au nombre de femmes mariées (12 603 088) ? Les hommes mariés seraient 1,3% plus nombreux que les femmes mariées ? Cette anomalie se retrouve d’ailleurs quelle que soit l’année consultée (82). Le facteur humain est inévitable dans le domaine des enquêtes (83).
Autre difficulté qui concerne notre sujet : le comptage des mariages. L’INSEE a deux méthodes pour compter les mariages. Soit il tient compte du domicile déclaré du futur couple (mariages domiciliés), soit il tient compte du lieu d’enregistrement ou de célébration du mariage. Si l’on comprend qu’au niveau local les différents types de comptages puissent donner lieu à des données différentes, au niveau national la somme devrait être théoriquement identique puisque seule la répartition diffère. Or, toujours pour l’année du recensement de 1990, Le nombre de mariages comptés selon le lieu s’élève à 287 099 et le nombre de mariages domiciliés à 284 294 ce qui représente une marge d’erreur d’à peine un pour cent. Il est difficile d’attribuer la totalité des 2 805 unités manquantes à des mariages domiciliés à l’étranger.

Autrement dit, les statistiques ne reflètent jamais la réalité telle qu’elle fut, spécialement en terme de démographie ou d’emploi car ces réalités par leur nature même sont en perpétuel mouvement. Néanmoins, l’intérêt des statistiques vaut, d’une part, pour leur faible marge d’erreur et d’autre part surtout lorsqu’elles sont prises sur des périodes significatives qui révèlent alors des tendances de fond. Or, en ce qui concerne notre étude, il s’agit justement de la recherche de l’existence d’une loi (s’il y en a une) entre le chômage et le mariage. Et seule une étude sur plusieurs décennies pouvait nous la fournir.
Voilà pourquoi la méthode statistique nous a paru
• fiable étant donné son faible taux d’erreur,
• pratique parce que le gros du travail a déjà été fait par des gens compétents,
• opératoire par une collecte de données régulière depuis plusieurs décennies.

 

b. Etendue de l’enquête


Sur quelle période fallait-il collecter les données ? Il y a nécessairement une part d’arbitraire dans ce genre de décision. D’une part parce qu’il faut une période minimum pour percevoir, s’il y en a une, une loi de dépendance du mariage à l’égard de l’emploi ou du chômage. D’autre part parce qu’à l’inverse, trop de données sur une période trop longue risqueraient de rendre impossible l’analyse.
Nous avions comme projet de traiter a priori une vingtaine d’années : 1975-1995. Période assez longue, marquée par une crise de l’emploi sévère en France et plus particulièrement dans le Valenciennois, région dont je suis issu.
Il se trouve que la période la plus pertinente pour notre étude concerne les années 1975-1995. Les raisons relèvent, si j’ose dire, de l’histoire des statistiques nationales. Au moment de notre étude, il n’y avait guère de statistiques détaillées en démographie au-delà de 1996. Un écart de deux ans sépare généralement la collecte ou l’estimation des données démographique de leur publication. Ensuite, l’INSEE a modifié la présentation des données nationales quant au mariage à partir de 1975 en fournissant des données sur la situation socioprofessionnelle des nouveaux époux (84). Cela nous a permis entre autre de mesurer le taux de mariages entre époux qui se déclarent l’un et l’autre « sans activité professionnelle ».
La période 1975-1995 comporte trois recensements : 1975, 1982 et 1990. Comme chacun sait, c’est à partir de ces données les plus fiables possibles (au sens où nous l’avons montré plus haut) que sont calculés ou estimés les autres taux. Ainsi le BRTE calculait le taux de chômage de l’arrondissement de Valenciennes en 1977, 1978, …,1982 sur la base de la population recensée en 1975. Ensuite, nous avons bénéficié d’un travail récent de Liliane Lincot et Bruno Lutinier sur les évolutions démographiques départementales et régionales entre 1975 et 1994 en France (85). Enfin, l’INSEE a publié des séries longues (86) qui nous ont permis d’élargir notre regard sur des données qui ont été homogénéisées avec les critères du B.I.T. (Bureau International du Travail) par exemple.
L’ensemble de ces informations collectées dans une pré-enquête de faisabilité nous a décidé à cadrer notre recherche sur la période 1975-1995.

 

c. Trois niveaux d’études : local, départemental, national.

Il restait à déterminer, une fois la période choisie, quelles données récolter exactement et à quel niveau de précision démographique. Notre choix s’est porté sur le niveau national bien sûr, puisque c’est lui qui permettra de vérifier s’il existe bien un lien fort entre chômage et mariage. Cependant nous avons aussi choisi de collecter les données au niveau du département du Nord et au niveau de la ville de Valenciennes.
La raison de cet effort pour un regard très local ne dépend pas fondamentalement du fait que nous y habitons. L’intérêt pour cette région est dû en particulier pour les crises économiques majeures qu’il connaît depuis une petite trentaine d’année. Nous craignions qu’au niveau national la loi des grands nombres et des moyennes ne permette pas de dégager l’influence propre du statut professionnel, et donc du chômage, parmi tous les autres facteurs intervenant dans la décision effective de prendre une date pour se marier devant le maire. Le niveau local, nous semblait, a priori, plus opportun pour vérifier l’importance du facteur emploi puisque facilement isolable spécialement lorsque de très grosses entreprises avec un très nombreux personnel comme Usinor-Denain, les Lainières de Roubaix ou l’industrie charbonnière cessent toute activité. Si la courbe du taux de mariage au niveau local montrait une brusque variation à côté d’une brusque variation dans le même sens du taux de chômage, il nous semblait que nous aurions démontré notre hypothèse à savoir que le statut de l’emploi permet d’accéder au statut matrimonial. L’inverse ne serait pas vrai. N. Herpin, analysant l’enquête « Suivi des chômeurs 1986-1988 » de l’INSEE montre que dans leur grande majorité, « une fois franchi le cap de sa formation, l’existence et la vie du couple ne sont pas mis en cause par le chômage »(87). Cette remarque, on le verra, est discutable.
En réalité, comme on le verra, les courbes ne se prêtent pas, au niveau local du moins, à de telles analyses. Un détour par des analyses sur la vie économique du Nord et du Valenciennois montrera qu’il était vain d’espérer une vérification si rapide.

 

d. Scientificité du travail


On reproche souvent aux sociologues d’avoir déjà la réponse aux questions qu’ils se posent et que leurs enquêtes n’ont d’autres buts que de les conforter dans leurs postulats.
Le lecteur jugera de la valeur du travail que nous présentons. Nous espérons néanmoins que la précision de notre hypothèse qui cherche à vérifier s’il existe oui ou non une habitude socialement incorporée dans la société française à savoir qu’on ne se marie que si l’un des deux époux a un emploi ; la rigueur de la méthode ; la qualité des sources ; la possibilité de vérifier l’exactitude des données récoltées dans des ouvrages de références ; le passage par une enquête sur l’histoire économique du Nord et du Valenciennois, permettra à ce lecteur de nous suivre jusque dans nos conclusions.

 

B. Mise en œuvre de l’enquête

1. Difficultés rencontrées


L’enquête sur le terrain des données statistiques s’est avéré plus difficile que prévue. A notre grand étonnement, il n’est guère possible de retrouver au niveau local la grande variété de données que l’INSEE propose au niveau national. Les seules données précises dépendent directement des années de recensement (1975, 1982, 1990). Nous disposons de ces données pour la démographie à tous les niveaux.
En revanche pour les années intermédiaires, c’est à un véritable travail de fourmi qu’il a fallu nous livrer pour collecter les informations. Une des limites atteintes a été celle du porte-monnaie. L’INSEE demandant plus de 3 000,00 francs pour fournir une vingtaine de tableaux statistiques. Il est regrettable qu’une logique économique d’un service de l’état français empêche d’effectuer une recherche de troisième cycle à but non lucratif. C’est ainsi que nous n’avons pu trouver les données du mariage concernant les tranches de population les plus concernées. Par ailleurs, les données locales sur le mariage de l’arrondissement ne sont pas qualifiées en fonction du lieu ou du domicile. Seuls des recoupements permettent de choisir par élimination de l’autre solution.
Une autre limite à laquelle nous avons été confronté concerne l’hétérogénéité des populations concernées par les études des démographes et les études des fonctionnaires du ministère de l’emploi. Le démographe s’intéresse à la commune, au canton, à l’arrondissement, au département, à la région, à la nation. A l’intérieur de chacun de ces ensembles de population, il est capable de dire (au moins pour les années de recensement) comment sont réparties les tranches d’âges, dans quel type d’habitat, dans quelles couches socioprofessionnelles, … La logique des enquêtes des ministères chargés de l’emploi est tout autre. Les entreprises et leur personnel ne relèvent pas des mêmes analyses. Le comptage de l’emploi ne se fait plus nécessairement selon les ensembles démographiques utilisés par les démographes mais par bassin d’emploi qui peut être à cheval sur deux arrondissements (ce qui est justement le cas pour Valenciennes). Dès lors, la comparaison des courbes du mariage (qui relève des études démographiques traditionnelles) et des courbes du chômage (qui relèvent d’une autre logique) risquait d’être sinon caduque, du moins entachée de faiblesses pour cause d’hétérogénéité de populations concernées.
La collecte des données sur le taux de chômage a bénéficié de la publication récente par l’INSEE de séries longues dans le marché du travail (88). Cela nous a permis d’étendre le domaine des recherches au niveau national et régional à partir de données réactualisées par rapport aux critères du Bureau International du Travail ; données qui n’étaient pas accessibles dans le centre régional de du travail et de l’emploi de Lille.

2. Présentation des résultats

Pour mémoire, nous rappelons que le taux de mariage où les deux époux sont déclarés « Sans activité professionnelle » (c’est-à-dire n’ayant jamais exercé un travail rémunéré) est extrêmement faible.


Graphe 3 : Taux en % des mariages où hommes et femmes se sont déclarés sans activité professionnelle.

 

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Sources : INSEE.

En terme de pourcentage, nous constatons un taux allant de 1,74 à 2,65 % de mariages où les deux époux sont déclarés SAP. Nous avons là un indice qui tendrait à montrer que ne se marient que ceux qui ont un emploi ou qui ont exercé un emploi (qui ont fait leur preuve professionnelle) et qui sont au chômage au jour de leur célébration de mariage. Pour l’INSEE, une personne ayant déjà exercé un emploi, même si elle est au chômage, se trouve dans une catégorie CSP déterminée (sauf si elle est retraitée).
Autrement dit, nous sommes dans l’incapacité avec ce tableau de dire combien de chômeurs se marient ou pas car ils sont distribués en fonction de leur expérience professionnelle sur l’ensemble du tableau des catégories socio-professionnelles. Il reste que nous avons là un indice à propos du lien entre mariage et profession actualisée. (89)

 

(1) La période 1975-1995.


Notre méthode de travail a principalement consisté en la comparaison des données sur le mariage et des données sur le chômage.


Graphe 4
: Comparaison du taux de nuptialité avec le taux de chômage, en France pendant la période 1975-1995.

 

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Sources : INSEE.

Notons tout d’abord que le taux de mariage se donne en ‰ et celui du chômage en %. Le graphe 4 est présenté sur une double échelle afin de pouvoir montrer les deux courbes ensemble.
Sur la période que nous avons choisie, 1975-1995, la courbe est particulièrement éloquente. Cela en est même étonnant. En effet, il est très clair que les deux courbes sont exactement inverses. Lorsque le chômage monte le mariage baisse, lorsque le chômage baisse le mariage remonte. Le plus manifeste, ce sont les points d’inflexion (changement de sens de la courbe) qui se situent la même année pour chacune des deux courbes : en 1987, 1990. L’année 1994 est la seule année ou cela ne se vérifie pas. Les échelles différentes ne sont en rien responsables des points d’inflexion des courbes qui dépendent de données totalement indépendantes quant à leurs sources.

Ce graphe 4, somme toute assez simple à obtenir, est un argument de poids en faveur de notre hypothèse qui cherche à vérifier l’influence du taux de chômage sur le taux de mariages célébrés. La question est de savoir si d’une part l’influence du chômage est directe ou indirecte et d’autre part, est-il possible de mesurer cette influence ? Sans aller trop vite, pouvons-nous dire, toujours à titre d’hypothèse, qu’il existerait une loi sociologique forte qui s’exprimerait de la façon suivante : Plus le taux de chômage monte et plus le taux de mariages célébrés baisse.

Il y a plusieurs pistes pour vérifier une telle loi.
La première consiste à élargir l’enquête en deçà et au-delà de la période de notre étude.
Enfin, un effort de « mesure » de l’influence du chômage sur le taux de mariage pourra être tenté. C’est-à-dire, est-il possible de déterminer le poids relatif du chômage par rapport à l’ensemble des autres facteurs (quels qu’ils soient d’ailleurs) sur la chute du taux de mariage en France. La méthode statistique de la régression linéaire sera notre outil de prédilection.

Nous voulions aussi faire une enquête au niveau très local pour vérifier l’influence sur le taux de mariage de la crise économique liée aux fermetures de grandes entreprises dans le Valenciennois. Nous verrons qu’en fait, ce travail était impossible au niveau de la collecte des données statistiques car il n’était pas possible d’attendre, même au niveau théorique, les résultats escomptés. L’analyse de cette piste erronée sera proposée à la fin des résultats. Mais il restait la faculté de recueillir quelques témoignages significatifs. Les expressions spontanées des chrétiens du diocèse de Cambrai (4 arrondissements sud du département du Nord) à l’occasion de leur synode fourniront des indices à notre réflexion.

S’il ne nous était pas très facile de descendre au niveau local, il était certainement intéressant de regarder en aval et en amont de notre période de référence. Elargir le champ de notre enquête nous a paru indispensable pour avoir un regard plus critique. Le lecteur verra combien cette intuition portera de fruits.
Nous avons réussi à obtenir des données sur une période couvrant les quarante dernières années. Les publications « séries longues » de l’INSEE sont arrivées à point nommé pour nous permettre de faire ce travail. Les données du taux de chômage ont été unifiées selon les critères du Bureau International du Travail.
Pour analyser le graphe 5, il nous faudra le regarder à la fois globalement mais aussi en détail.
Un premier regard d’ensemble montre que la loi que nous établissions à titre d’hypothèse sur le premier graphe portant sur la période 1975-1995 (l’évolution du taux de nuptialité est inversement proportionnelle à l’évolution du taux de chômage) ne peut être maintenue en l’état. Trois périodes se dégagent :1960-1974 ; 1975-1995 et 1996-1997.
La période 1975-1995 ayant déjà été regardée d’un peu près, nous allons surtout nous intéresser aux deux autres.


Graphe 5 : Taux de nuptialité et de chômage entre 1960 et 1997.

 

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Sources : INSEE.

 

(2) La période 1960-1974


Le graphe 6 est particulièrement délicat à analyser.
Graphe 6 : Taux de nuptialité et taux de chômage 1960-1974.

 

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Sources : INSEE.

Du point de vue de l’histoire économique de la France, nous sommes à la fin des « trente glorieuses », à la fin du baby-boom, dans une période économique de plein emploi. La crise du pétrole commence seulement à partir de 1973 et surtout à partir de 1974.

Les deux courbes ne laissent pas apparaître de rapport évident. Les points d’inflexion ne correspondent pas toujours et lorsqu’une des deux courbes monte l’autre ne baisse pas nécessairement. Bref ! sur cette période, une période de plein emploi et de faible taux de chômage, nous ne pouvons guère trouver, à première vue, de loi entre le taux de nuptialité et le taux de chômage. La loi que nous établissions précédemment, à titre d’hypothèse (Plus le taux de chômage monte et plus le taux de mariages célébrés baisse), ne peut être tenue en l’état.

 

(3) La période 1996-1997

Afin de donner un peu de lisibilité à la troisième période 1996-1997 période, nous avons bâti notre graphe 7 sur une période de 10 ans : 1987-1997.


Graphe 7 : Taux de nuptialité et taux de chômage 1987-1997.

 

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Sources : INSEE.

Sur ce graphe, nous sommes bien dans le cas de figue de notre hypothèse jusqu’en 1994. Les années 1996 et 1997 posent un gros problème à notre théorie. En effet, nous assistons à une augmentation de 10% du taux de mariage alors que le chômage monte encore un peu. 10% d’augmentation en un an, c’est considérable !
Cette brusque variation relève d’un phénomène qui n’a en fait rien à voir avec le taux de chômage mais bien plutôt avec la fiscalité. En 1995, M. de Courson, député, a fait passer un amendement qui a revalorisé la fiscalité des ménages en faveur des couples mariés et au dépend des concubins. Les analystes de cette situation attribuent l’augmentation des 10% à la seule influence de cet amendement.
« Cette augmentation doit assurément être rapprochée des dispositions de la loi de Finances pour 1996 modifiant les conditions de calcul de l’impôt sur le revenu des personnes non-mariées (célibataires, veuves et divorcées) ayant des enfants à charge : aux termes de l’amendement de Courson, la demi-part supplémentaire n’est plus accordée en cas de cohabitation, chacun des deux membres du couple continuant d’être imposé séparément. Dans ces conditions, les couples de cohabitants qui payent un impôt direct significatif ont intérêt à se marier pour bénéficier, l’année du mariage, de conditions favorables d’imposition, calculée en trois parties, les deux cohabitants séparément jusqu’au mariage, le couple après. Les années ultérieures , l’imposition des cohabitants qui se marient leur est relativement d’autant plus favorable (ou moins défavorable) que l’écart de revenus entre les deux conjoints est plus grand. » (90)
L’année 1997 a confirmé « l’embellie » de 1996 comme le prévoyait M. Louis Lévy : « Comme le nombre de mariages supplémentaires de 1996 et de l’ordre de 20 000, il existe certainement une "réserve" de couples cohabitants incités à "régulariser "leur union » (91). Ce qui montre bien que dans la chute du taux de nuptialité, il n’y a pas que des causes de chômage ou une chute des valeurs, il y aussi des raisons fiscales.

Il pourrait y avoir une autre raison de stabilisation de la courbe du taux de nuptialité. Elle serait due à la diminution du taux de chômage des personnes qui peuvent se marier et donc principalement des personnes de 20 à 35 ans. Globalement, même si le chômage monte, on pourrait imaginer que le taux de mariage remonte lui aussi, simplement parce que les variations du taux de chômage ne se répartissent pas de manière homogène dans toutes les tranches d’âges de la société française. Mais c’est peu probable. En effet, cet accroissement des mariages civils concerne surtout ceux qui payent des impôts directs significatifs. Il concerne donc les ménages à revenus élevés et non pas ceux qui sont dans la précarité ou au chômage et sur qui l’amendement de Courson a eu une moindre influence. Enfin, le taux de chômage est encore très élevé et n’a pas baissé au cours de cette période.

Etant donné que la courbe du chômage national que nous avons choisie intègre la totalité de la population quelle que soit la tranche d’âge, il aurait pu être intéressant de regarder plus spécialement ce qu’il en était de notre hypothèse avec les tranches d’âges plus jeunes et plus concernées par le mariage. En fait, la vérification d’une telle option n’est pas à notre portée car nous ne disposons que de statistiques simples sur les taux de nuptialité et de chômage. En effet, ainsi que nous l’avons mentionné plus haut, les départements emploi-revenus et démographie-société de l’INSEE ne travaillent pas avec les mêmes populations. D’une part, ces populations ne sont pas comptées au niveau local sur les mêmes secteurs géographiques ; d’autre part les tranches d’âges qui sont étudiées ne se recouvrent pas non plus. Ce qui fait que même au niveau national il est quasiment impossible d’affiner une comparaison taux de chômage et taux de nuptialité par tranches d’âges.
Ainsi le département démographie-société répartit les personnes mariées dans l’année année après année. On ne peut être plus précis. Et nous apprenons par-là que l’âge où l’on se marie le plus se trouve surtout entre 25 et 29 ans puis entre 30 et 34 ans. Mais lorsque l’on s’intéresse aux chiffres donnés par le département emploi-revenus les taux de chômage sont donnés pour des tranches d’âges groupées : les 15-24 ans, les 25-49 ans et les >49 ans. Le lecteur comprendra aisément que les données ne peuvent être comparées sous peine de tirer des conclusions tout à fait erronées.
Cette limite sur laquelle butte notre enquête montre aussi que les enquêtes INSEE sont conduites en fonction d’intérêts spécifiques et que les données sont collectées à cet effet. A contrario, cela montre la pertinence de notre étude qui fait l’effort de comparer des données que l’INSEE ne rapprochent pas spontanément sinon il s’en serait donné les moyens.
La comparaison avec les mariages catholiques peut être intéressante à ce niveau.


Graphe 8 : Mariages civils et catholiques en France entre 1970 et 1997.

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Sources : INSEE et Conférence épiscopale de France.

Les données provenant de l’épiscopat français montrent que l’amendement de Courson n’a eu aucune influence sur l’évolution des mariages catholiques. Comme on le voit, la courbe poursuit son fléchissement, fidèlement à notre théorie. Faut-il en déduire que les catholiques, du moins ceux qui se marient à l’Eglise et qui ont des revenus significatifs, n’ont pas renoncé à leur mariage pour cause de fiscalité ? C’est possible.
Les statistiques révèlent ici dans le contraste des mariages civils et des mariages catholiques que la décision de s’abstenir du mariage civil peut se faire pour des raisons fiscales. Cela laisse apparaître, parmi les ménages aisés non-catholiques-pratiquants, la valeur importante de l’argent comme critère de décision pour l’acquisition du statut matrimonial. Ce critère de l’argent comme déterminant pour près de 50 000 personnes est très instructif pour considérer les motivations d’une cohabitation, en particulier dans les couches supérieures de la société. Il n’y a pas que l’idéologie de l’amour sans papier pour freiner un mariage !

Le niveau local n’est pas aussi intéressant qu’on l’aurait cru.
Notre méthode de travail se proposait de comparer assez finement les mêmes données ayant trait aux taux de nuptialité et de chômage mais à une échelle géographique très localisée. Or cet a priori relevait d’une double naïveté.
La première concerne une incompatibilité des données au niveau de la répartition géographique de la collecte. Lorsque l’on parle de Valenciennes à propos du chômage, il faut entendre bassin d’emploi de Valenciennes, qui est à cheval sur les arrondissements de Douai et de Valenciennes. C’est pourquoi il n’est pas pertinent de comparer cette courbe avec celle du taux de mariage de la ville de Valenciennes.
La seconde porte sur une naïveté plus sérieuse. Nous pensions qu’en nous intéressant à une région où de grandes entreprises ont fermé, il serait possible d’apercevoir aux côtés d’un accroissement brusque du chômage une modification du taux de mariage. Etant donné la violence du chômage (nombre et contraction dans le temps) ce phénomène au niveau de l’emploi couvrirait de loin tous les autres facteurs ayant trait à une décision de célébration de mariage. Or il n’en est rien, on verra pourquoi.

En revanche, il est possible de présenter des courbes de chômage et de mariage pour des secteurs géographiques de plus en plus grands.

Graphe 9 : Taux de chômage pour Valenciennes, le Nord et la France entre 1975 et 1995.

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Sources : INSEE.

Ce graphe 9 nous montre que grosso modo, les courbes de chômage au niveau de Valenciennes, du département du Nord et au niveau national sont assez voisines pour ne pas dire parallèles. Ce qui les différencie est que le taux de chômage est plus élevé dans le Nord que pour la moyenne nationale et dans le valenciennois que dans le Nord. Seule l’année 85 tranche vraiment par rapport à la vie nationale. Mais ce léger mieux n’a pas duré. En revanche la manifestation graphique des fermetures des grandes entreprises n’apparaît pas.
Les études sur l’économie du Nord et du Valenciennois montrent qu’en fait il y a deux raisons principales à cela : d’une part une entreprise comme Usinor-Denain n’est pas passée de 10 000 emplois à 0 du jour au lendemain. La réduction des effectifs a été progressive. D’autre part à chaque réduction d’effectifs, il y a eu des départs volontaires, des mises à la retraite anticipées, des mutations, des mesures sociales qui font que la suppression de X emplois ne s’est pas traduite par un accroissement du même nombre X de chômeurs. « La fermeture d’Usinor-Denain n’a entraîné que très peu de licenciements : les ouvriers de 50 à 55 ans sont partis en dispense d’activité ; les plus jeunes se sont vu offrir une prime de 50 000 francs pour quitter l’entreprise volontairement ou ont été muté à Dunkerque » (92). Bref ! on observe un accroissement du taux de chômage, certes à un niveau plus élevé, mais cependant au même rythme qu’en France et que dans le Nord.

Pour les mariages (Cf. graphe 10), on trouve aussi des courbes semblables mais avec des variations dans le même sens plus accentuées lorsque l’on s’approche du niveau local.
Ceci pourrait laisser penser qu’en définitive, même au niveau local, du point de vue statistique, les courbes du mariage et du chômage évoluent en sens inverse et au même rythme. Cependant, comme nous l’avons déjà dit, il faut rester prudent du fait de la non homogénéité des données collectées qui ne se font pas avec les mêmes populations. Disons simplement que nous avons là un indice supplémentaire pour affirmer qu’au niveau local on constate les mêmes évolutions qu’au niveau national.

Graphe 10 : Taux de nuptialité pour Valenciennes, le Nord et la France entre 1975 et 1995.

 Graphe10 Graphe10  Â© www.discernement.com

Sources : INSEE et Mairie de Valenciennes.


D’une certaine manière, plus on descend au niveau local et plus les variations ont de l’amplitude. Le niveau national a tendance à aplatir les courbes.
Ensuite, il faut bien se dire qu’en ce qui concerne le problème qui nous intéresse, la fermeture des entreprises n’a pas tellement mis au chômage des personnes qui cherchaient à se marier mais des personnes déjà mariées. Ce n’est pas à ce niveau que s’est jouée l’influence sur le taux de mariage. En fait, la fermeture des entreprises a bouché l’avenir professionnel à un grand nombre de jeunes dont l’avenir ne se comprenait que dans la mine ou les hauts fourneaux. Parallèlement à cette douloureuse réalité économique, la situation démographique a accru le drame qui se jouait alors : « La population active âgée de 45 à 59 ans, susceptible de partir en retraite dans les quinze années suivantes ne comptait en 1975 qu’un peu plus de 31 000 personnes ; alors que la population susceptible d’arriver sur le marché du travail pendant la même période était presque deux fois plus nombreuse (52 000). En période de croissance économique le défi aurait été déjà très difficile à relever. Au moment où les entreprises locales supprimaient des emplois par dizaines de milliers la tâche tenait de l’impossible. » (93) Ce sont ceux-là qui, ne trouvant pas de travail, ont retardé leur mariage.

Cela se traduit par une chute plus rapide du taux de nuptialité à Valenciennes que pour le nord et au niveau national. Les soubresauts dus aux petits chiffres du nombre de mariage pour la ville de Valenciennes (544 à 208) ne sont pas très significatifs.

Ces remarques montrent qu’en définitive, pour les études statistiques, c’est le niveau national qui était le plus pertinent pour notre observation. C’est d’autant plus intéressant que le niveau national montre des tendances lourdes que le local ne peut expliquer à cause des épiphénomènes locaux. Il est probable, étant donné que les courbes locales tant pour le mariage que pour le chômage suivent la même évolution que leur courbe nationale, que nous trouverions la même loi de dépendance du taux de nuptialité à l’égard du taux de chômage.
Il reste que nous avons pu avoir accès à des informations au niveau local par le biais de témoignages divers. Nous y reviendrons après le travail sur les statistiques car cette première approche d’observation des courbes peut être affinée en statistique de manière tout à fait intéressante par le moyen de la régression linéaire.

 

C. TRAVAIL SUR LES STATISTIQUES

1. Intérêt de la régression linéaire.

L’intérêt d’une telle méthode est de donner des éléments fondés sur des lois mathématiques pour permettre de déterminer s’il existe une relation approximativement linéaire sous la forme d’une droite (y = ax + b) entre deux types de données et d’estimer ensuite la qualité de cette régression. Le terme d’estime est là pour dire qu’en termes de statistiques, nous sommes toujours dans l’ordre des probabilités.
Une régression simple, comme nous l’utiliserons ici, a en général deux objectifs : d’une part de décrire la relation qui existe entre deux types de données ; d’autre part de prévoir ce qui va se passer à l’avenir, à supposer que les conditions qui ont permis d’obtenir l’équation de la droite de régression linéaire n’aient pas changé. En ce qui nous concerne, la modification de la loi fiscale par l’amendement de Courson est, à l’évidence, une modification du contexte suffisamment conséquente pour rendre caduque la capacité de prévision du taux de nuptialité de 1995 à 1996 sur la seule base de la description de la période 1975-1995.


2. Prudence nécessaire pour l’utilisation d’une telle méthode.


Les familiers de l’analyse statistique rappellent toujours l’extrême prudence avec laquelle il convient de manier la méthode d’analyse statistique à partir de régression linéaire. Bien des éléments peuvent être source d’erreurs et partant ouvrir à des interprétations totalement erronées.
En premier lieu, Il est nécessaire de réfléchir préalablement à la possibilité réelle d’une corrélation entre les deux phénomènes que l’on observe, de réfléchir aux mécanismes qui peuvent relier les variables étudiées. Il s’agit de mettre en relation des données dont on peut estimer qu’elles ont un rapport pertinent. Car on peut toujours trouver des corrélations parfaites qui pourtant ne veulent rien dire et dont on ne peut rien tirer. Ainsi, il est bien connu que 99,9% des personnes qui se droguent ont bu du lait dans leur jeunesse, mais le fait de boire du lait n’a jamais été compris comme étant un facteur facilitant ou aggravant l’accroissement de la population des drogués. En ce qui concerne notre travail, nous avons pu montrer d’une part avec la méthode des CSP qu’environ 2% de personnes n’ayant jamais eu d’activité professionnelle se mariaient entre elles ; et d’autre part que la relation entre le chômage et le mariage n’était sans doute pas la même selon que le taux de chômage était bas ou élevé. Il semble donc qu’en ce qui concerne la dépendance de Y (le taux de nuptialité) à l’égard de X (le taux de chômage), le plus difficile n’est pas tant de dire qu’il existe une dépendance probable mais de savoir à quel niveau de dépendance Y se trouve à l’égard de X.
Il faut aussi toujours évaluer la fiabilité des données. Dans notre cas, nous n’avons pas de raison sérieuse de douter des données récoltées, fournies et calculées par l’INSEE dont la réputation n’est plus à faire. De plus l’indépendance des services travaillant sur l’emploi d’une part et la population d’autre part nous assure qu’il n’y a pas de contamination d’un type de données sur un autre. Si une loi est découverte, elle doit montrer une dépendance entre les types de données pour des raisons sociologiques.
Ensuite, lors d’une régression linéaire simple, ce ne sont pas les mathématiques qui diront quel est le type de donnée qui dépend de l’autre. Une équation de droite n’a pas de « bon sens ». En ce qui nous concerne, nous avons placé en Y le taux de nuptialité dont nous cherchons à mesurer la dépendance à l’égard de la variable X, le taux de chômage. Le bon sens nous dit en effet que s’il y a une forte corrélation entre les taux de nuptialité et de chômage, ce n’est pas la variation du taux de nuptialité qui fera varier le taux de chômage, mais bien l’inverse.

Cette remarque amène la dernière. Ce n’est pas parce que l’on trouve une corrélation forte entre deux types de données qu’elles sont nécessairement dans une dépendance directe. Leur relation peut aussi s’exprimer par un troisième type de données qui causerait les deux premières. Ainsi, ce n’est pas parce que l’on a les dents jaunes que l’on a plus de risques de faire une crise cardiaque (même si la corrélation est bonne) mais bien le fait que l’on fume beaucoup qui donne à la fois les dents jaunes et le risque cardiaque. Il s’agit donc de ne pas confondre les causes et les conséquences. Deux conséquences d’une même cause sont nécessairement très corrélées mais ne disent rien de l’action de l’une sur l’autre. Lorsque nous aurons établi le taux de corrélation entre le taux de nuptialité et le taux de chômage, il nous faudra aussi réfléchir sur la nature de cette corrélation. C’est toute la question de l’interprétation.

 

3. Comment lire les résultats ?


Les chiffres et les courbes, chacun le sait, ne parlent pas d’eux-mêmes. Il s’agit de les « faire parler » avec le plus de prudence nécessaire, non pas en fonction d’une thèse que l’on voudrait forcer mais avec des règles d’interprétation que la communauté scientifique s’est donnée. Il s’agit des indicateurs mathématiques et des règles d’analyse pour les courbes.

Les indicateurs mathématiques


Ils sont très nombreux. Ceux qui nous intéressent sont les suivants :
Le coefficient de détermination (noté R²). Plus ce coefficient est élevé, plus le modèle retenu ( par exemple le modèle de la droite) explique la dispersion observée sur Y. Une dispersion des points se caractérise par une baisse de R².
Le coefficient de corrélation (noté R). Il est égal à la racine carrée de R². Comme R² est toujours compris entre 0 et 1 on choisit souvent de présenter le coefficient de corrélation qui est toujours plus grand que le coefficient de détermination. Le signe du coefficient de corrélation est le même que celui de la pente de la droite de régression linéaire. Ce signe est fondamental car c’est lui qui détermine la positivité (variation dans le même sens) ou la négativité (variation en sens contraire) de la corrélation quand celle-ci est significative.
Le nombre de points pris en compte dans la régression. On ne peut faire de régression avec un nombre de point inférieur à 5. Il est assez évident que plus le nombre de points n sera élevé et plus le coefficient de corrélation pourra être petit pour obtenir le même p. (voir définition plus bas).
L’équation de la droite. Dans l’équation Y = aX + b, c’est Y qui dépend de X ; a est la pente de la droite. Si a est positif, les données évoluent dans le même sens (Plus X augmente et plus Y augmente) ; si a est négatif elles évoluent en sens contraire (plus X augmente et plus Y diminue). b est le point à l’origine (valeur de Y pour X = 0).
La valeur de p. p est la probabilité que la corrélation établie est fausse, c’est-à-dire que plus p est grand et plus il est possible que la corrélation entre X et Y soit dû au hasard. La valeur maximale de p en deçà de laquelle les scientifiques estiment que l’on peut se fier aux résultats dépend de la science dans laquelle on évolue. Ainsi en médecine, on valide des recherches lorsque p < 0,05, dans certaines recherches en chimie on se contente de p < 0,5. Le calcul de p dépend de R/n.

 

Le jugement graphique.


L’interprétation des indicateurs mathématiques doit être impérativement complétée par un jugement graphique à partir du nuage de points constitué par la régression. C’est le premier indice de confirmation de l’existence ou non d’une corrélation. Le jugement graphique est ce qui permet de ne pas se contenter des indicateurs mathématiques qui ne peuvent toujours rendre compte de tout, pour des raisons de moyenne, de tendance, d’erreurs de récolte de données, de dispersion non aléatoire (régularité de comportement) ou de point excentré. Chacun de ces éléments peut modifier, parfois très significativement, la pertinence de l’interprétation.
C’est à partir de ce nuage de points que l’on peut choisir un autre modèle que la régression linéaire pour chercher s’il existe une dépendance entre X et Y. Cette dépendance peut être logarithmique, parabolique, …
Dans le cas d’une régression linéaire simple, on présente habituellement un deuxième graphique : celui des résidus standardisés qui présente l’écart standardisé de chaque point à la droite de régression. Les points extérieurs à l’intervalle [-2, +2] font généralement l’objet de suspicion.

 

4. Analyse des résultats.


Pour des commodités de présentation, nous allons présenter les régressions linéaires à partir de la période la plus large afin de nous recentrer progressivement sur la période que nous avons choisie d’étudier.

Période 1960-1997.


Graphe 11 : Courbe de régression linéaire entre les taux de chômage et les taux de nuptialité pour la période 1960-1997.

Graphe11 Graphe11  Â© www.discernement.com

 

 

L’équation de la droite : Y = - 0,28 X + 7,910

Count: R: R-squared: Adj. R-squared: RMS Residual:
38 ,937 ,879 ,875 1,401
 


Analysis of Variance Table

Source DF: Sum Squares: Mean Square: F-test:
REGRESSION 1 510,95 510,95 260,323
RESIDUAL 36 70,659 1,963 p = ,0001
TOTAL 37 581,609    
 

 

Le jugement graphique montre que sur le nuage de point, on peut repérer deux ensembles de points très nets. Il y a celui qui rassemble les points pour X < 3. Et l’autre nuage pour X >3.

Graphe 12 : Graphique des résidus pour la courbe de régression linéaire entre les taux de chômage et les taux de nuptialité pour la période 1960-1997.

 

Graphe12 Graphe12  Â© www.discernement.com

 

L’observation des résidus confirme cette première approche de deux groupes.
Notons que l’amplitude des résidus standardisés [- 1 ; + 1] est d’une certaine hauteur qui n’est pas répartie de manière homogène sur toute la courbe. En termes de statistique, on dit que l’hypothèse d’homoscédasticité n’est pas vérifiée. Cela confirme de manière plus facile sans doute, notre intuition d’analyser notre travail en deux sous-ensembles.
Nous allons donc affiner notre travail d’analyse en divisant l’ajustement linéaire sur deux périodes principales : 1960-1974 et 1975-1995.
 

La période 1960-1974.

Graphe 13 : Courbe de régression linéaire entre les taux de chômage et les taux de nuptialité pour la période 1960-1974.

 

Graphe13 Graphe13  Â© www.discernement.com

 

L’équation de la droite est : Y = 0,52 X + 6,244

Count: R: R-squared: Adj. R-squared: RMS Residual:
15 ,801 ,641 ,614 ,398
 

 

Analysis of Variance Table

Source DF: Sum Squares: Mean Square: F-test:
REGRESSION 1 3,688 3,688 23,256
RESIDUAL 13 2,062 ,159 p = ,0003
TOTAL 14 5,749    
 

 

Si l’on trouve bien l’équation d’une droite avec un p remarquable, il reste que R, le coefficient de corrélation est assez faible malgré l’effort fait pour honorer la spécificité des données. Cela ne va pas dire, bien sûr, qu’il n’y a aucune relation entre les taux de chômage et de nuptialité lorsque X < 3,0 %, mais cette dépendance de Y à l’égard de X est nettement moins sensible que pour la période suivante puisque R = 0,8.


Graphe 14 : Graphique des résidus pour la courbe de régression linéaire entre les taux de chômage et les taux de nuptialité pour la période 1960-1974.

 

Graphe14 Graphe14  Â© www.discernement.com

 

Le graphe 14 des résidus montre que l’amplitude des résidus standardisés [- 0,6 ; + 0,4] est plus faible et plus homogène que pour la régression qui prenait en compte la période 1960-1997. Ceci confirme donc la justesse de notre premier jugement graphique de répartir en deux groupes les données.

Il faut noter principalement que pour cette période de faible chômage, nous avons une droite de signe opposé à la première. Ici, chômage et nuptialité évoluent dans le même sens. Ce qui laisserait entendre que plus le taux chômage monte et plus le taux de nuptialité croit. Cette remarque est à l’évidence contradictoire avec la loi que nous essayons de découvrir qui veut que les taux évoluent en sens contraire. Il faut ici affirmer qu’entre la première période (60-74) et la seconde (75-95) nous assistons à un double changement dans le taux de chômage : d’une part, alors qu’il était relativement stable oscillant entre 1,20 et 2,80 %, il se met à croître durablement et d’autre part, il franchit un seuil de 3%. Sans doute ne faut-il pas se crisper sur le seuil de 3% en particulier, mais qu’il y ait un effet de seuil d’une part et un phénomène de durée d’autre part est certainement important pour expliquer la chute du taux de nuptialité. Peut-être pourrions-nous dire que tant que le taux de chômage est bas, son influence sur le taux de nuptialité est faible et difficilement mesurable. Mais lorsqu’il devient important et durable, alors il prendrait une prépondérance parmi tous les facteurs de décision au mariage qui rentrent en ligne de compte.
Avec prudence et par honnêteté, notons tout de même que la chute du taux de nuptialité a précédé de deux ans l’accroissement du taux de chômage. A quoi est due la chute du taux de nuptialité entre 72 et 74 ? C’est bien difficile à dire à la seule observation du graphique général. Cependant, on peut noter que dans la période 60-74, il existe aussi des chutes de deux ans quoique moins prononcées en 60-62 et 64-66. Et ce n’est peut-être pas parce que la chute est continue entre 72 et 87 que les causes de celle-ci sont les mêmes du début à la fin.


La période 1975-1995.

Graphe 15 :Courbe de régression linéaire entre les taux de chômage et les taux de nuptialité pour la période 1975-1995.

Graphe15 Graphe15  Â© www.discernement.com

 

La droite a pour équation : Y = - 0,38 X + 8,675

 
Count: R: R-squared: Adj. R-squared: RMS Residual:
21 ,988 ,976 ,975 ,395
 

 

Analysis of Variance Table

Source DF: Sum Squares: Mean Square: F-test:
REGRESSION 1 119,814 119,814 769,505
RESIDUAL 19 2,958 ,156 p = ,0001
TOTAL 20 122,772    
 

 

Chacun constatera, que la régression s’approche de la perfection avec R = 0,988 et p = 0,0001, ce qui est exceptionnel.

 

Graphe 16 : Graphique des résidus pour la courbe de régression linéaire entre les taux de chômage et les taux de nuptialité pour la période 1975-1995.

Graphe16 Graphe16  Â© www.discernement.com

 

Le graphique des résidus est d’une amplitude [- 0,4 ; + 0,4] encore moindre que pour les deux premières régressions. Ceci confirme bien la pertinence du choix que nous avons fait de ne pas considérer les deux périodes que nous avons distinguées comme relevant d’une même approche.

Le taux de chômage en période de crise ne peut, cependant, expliquer la totalité de la chute du taux de nuptialité. En effet, à taux de chômage égal, il y a une chute du taux de nuptialité que l’on peut mesurer. Ou plutôt, ce que l’on peut mesurer, c’est le poids relatif de l’influence du chômage par rapport à tous les autres facteurs (connus : fiscalité, valeurs, … et inconnus) qui font que l’on ne se marie pas. Il suffit de comparer le taux de nuptialité pour un même taux de chômage à quelques années d’écart. Notre courbe le permet.

Tableau 4 : Données au niveau national du taux de nuptialité et du taux de chômage entre les années 1980 et 1994.

  80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94
Taux de Nuptialité 6,2 5,8 5,7 5,5 5,1 4,9 4,8 4,8 4,8 5,0 5,1 4,9 4,7 4,4 4,4
Taux de Chômage 6,4 7,4 8,1 8,4 9,8 10,2 10,4 10,5 10,0 9,4 8,9 9,4 10,3 11,6 12,3
 


Sources : INSEE.

Du point de vue du taux de nuptialité : Il est identique en 84 et 90 à 5,1‰. Mais entre les deux le taux de chômage a perdu 0,9 %. Si notre loi était absolue, nous aurions dû trouver le même taux de chômage dans les deux cas.
Il est cependant plus intéressant de prendre le point de vue du même niveau de chômage à plusieurs années d’écart. Entre les années 83-84 et l’année 90, le taux de nuptialité a perdu 0,3 points environ soit un écart de 5,5% en sept ans. Ce qui prouve, s’il était encore nécessaire, de l’influence importante mais non exclusive du facteur chômage en pleine crise de l’emploi sur le taux de nuptialité.
Autrement dit, dans un contexte économique aussi rude qu’est le nôtre, le chômage des jeunes pèse largement pour 90% de la chute de la courbe de nuptialité.

Conclusion


Les études statistiques ne peuvent bien sûr pas tout donner. Les limites liées à la collecte des données en sont une des causes principales. Elles permettent en revanche de mieux poser les questions que nous nous posons quant à la dépendance du taux de nuptialité à l’égard du taux de chômage.
Désormais, nous pouvons clairement établir que si elle existe, de manière directe ou indirecte, elle n’est visible qu’en cas de chômage élevé et durable. Par ailleurs pour prédominant que soit ce facteur, il n’est pas exclusif d’autres.
Enfin, mettre à jour une loi, ce n’est pas pour autant en donner le sens. Ce sera l’objet de notre travail d’interprétation. Avant cela nous avons à nous intéresser aux témoignages du terrain. Ils fournissent un éclairage qui n’a rien à voir avec les statistiques au sens quantitatif du terme mais qui montrent qu’il existe aussi des discours qui tentent de rendre compte du choix du concubinage pour d’autres raisons que l’idéologie de l’amour sans papier.

 

D. LES TEMOIGNAGES DU TERRAIN


Il était très difficile de monter une enquête qualitative sur le terrain. Le temps et la compétence manquaient. Néanmoins, à l’écho de mon travail, des confrères prêtres m’ont donné leur témoignage à propos de la question qui nous intéresse. Par ailleurs, notre diocèse étant en Synode, il y a eu 41 groupes de partages qui se sont saisi de la question portant sur la vie de couple et la vie de famille. Cela m’a permis de récolter quelques informations « spontanées ».

 

1. Les témoignages des prêtres.


Le témoignage du curé de Fourmies : « Quelques couples précaires (moins de 5 sur l’année) sont venus à l’église célébrer un mariage alors qu’ils n’avaient pas de travail et vraiment peu d’argent pour faire la fête. Ils sont venus en disant : "Et bien nous, on a bien le droit de se marier !" ». L’expression était commentée et interprétée de la façon suivante. Ces personnes avaient fait le tour de leur impossibilité à trouver du travail, en avait fait le deuil en quelque sorte, et s’étaient décidées finalement à célébrer leur mariage comme un droit, comme une revendication de dignité.

Le témoignage du curé de Lecelles : « Je croise dans la rue du village le couple untel qui était au chômage depuis fort longtemps. Ils m’annoncent leur joie d’avoir trouvé du travail. Je leur demande alors s’ils vont se marier mais ils répondent que non parce qu’ils n’ont pas les sous pour faire la fête ».

Le témoignage d’un confrère de Nantes : « Dans ma paroisse un couple a annulé son mariage parce que le monsieur venait d’être mis au chômage »

Une expérience personnelle en février 1999 : Mon curé me demande de préparer le mariage de T. et S. qui ont décidé de se marier à l’église. T. est ouvrier agricole. S. a un emploi Contrat Emploi Solidarité. Au premier contact téléphonique, T. m’annonce que finalement il ne fera pas le mariage à l’Eglise parce qu’ils n’ont pas les sous pour payer la messe (800,00 francs). Quand ils ont su qu’ils pouvaient donner ce qu’ils pouvaient et que « le prix » n’étaient pas une condition fondamentale du mariage, ils sont revenus sur leur décision. Le mariage fut célébré le 10 juillet 1999.

 

2. Des échos du Synode de Cambrai.


Pour les chrétiens, le Synode (temps de réflexion et de prière pour mieux faire route ensemble vers le Royaume de Dieu) est l’occasion dans une période de deux à trois ans, de se mettre à l’écoute de Dieu à travers sa Parole mais aussi à travers la parole de tous les chrétiens du diocèse. C’est ainsi que le synode essaye de donner le plus possible la parole au plus grand nombre de personnes.
On trouvera en Annexe 3 les différentes pistes qui étaient proposées à la réflexion et les 6 questions qui permettaient d’approfondir chacune d’entre elles. L’une d’entre elles s’intitulait : Vie de couple, vie de famille et avait pour sous-titre Construction, épreuves, confiance, partage.
41 groupes de 7 à 8 personnes ont fait le choix de cette piste. 3 sont intervenus sur le sujet qui nous intéresse alors qu’aucune question n’induisait directement ou indirectement ce type d’intervention. Voici leurs expressions.

Groupe 42 RMAV-AN.
En réponse à la question 1 : « Un couple qui vit en concubinage dont la jeune femme se prépare au baptême doit reculer la date de son mariage faute de moyens financiers. »
En réponse à la question 2 : « Désir de mariage contrarié par manque d’argent, manque de situation (étudiant), manque de travail (chômage) donc concubinage. »

Groupe 343 RMJV-CR.
En réponse à la question 4 : « Revoir le coût des cérémonies religieuses (mariage, baptême, funérailles). Le prix peut fermer la porte de l’église à des jeunes qui souhaitent prendre un engagement envers Dieu. »

Une lettre individuelle d’une étudiante.
« Autre question soulevée : Les finances. 800,00 francs la cérémonie, c’est abuser ! Et comment font les jeunes qui n’en ont pas les moyens ? Les parents ne sont pas toujours derrière. Et puis, certains couples choisissent la bénédiction nuptiale pensant qu’elle coûterait moins cher. Et bien non !
Pourquoi ne pas étudier le prix de la messe de mariage (et les autres) en fonction des revenus disponibles du jeune couple ? Nous croyons qu’ainsi plus de jeunes s’uniraient à l’Eglise, pourraient retrouver la foi et débuter une nouvelle vie ».

Bien sûr il serait toujours possible de trouver des témoignages allant en sens inverse : « On n’a pas besoin de papier pour s’aimer, … ». Mais ici, il ne s’agit pas de comparer des quantités, mais d’essayer d’analyser la qualité des propos.

 

Première remarque :

Les témoignages vont dans deux directions : D’une part on reproche la cherté des cérémonies ou des fêtes (avec un certain ton de révolte). D’autre part, il est attesté que le chômage est un frein au mariage et qu’avec le manque d’argent qui lui est associé (sans dire s’il en est la conséquence et en définitive la cause unique) cela conduit au concubinage. La mise au chômage peut aussi empêcher un mariage.


Deuxième remarque :

Le témoignage du curé de Fourmies est particulièrement intéressant pour son originalité. Ici, malgré le manque d’argent et une précarité durable, des couples se sont décidés à un mariage, et qui plus est un mariage religieux.

Les témoignages sont trop brefs pour aller beaucoup plus loin que ces simples observations mais ils attestent qu’ils existent des discours qui ne sont pas ceux du libéralisme et de la chute des valeurs à l’égard du mariage. Oser dire « on a bien le droit de se marier » malgré toute la précarité d’une vie suppose une certaine audace non seulement pour se marier comme pour tous les couples mais aussi pour se marier sans le sou, et sans doute avec une fête réduite à sa plus simple expression. Qu’ont-ils réussi à dépasser ou à intégrer pour prendre cette décision ? Nous n’avons pas la réponse à cette question, mais la seule possibilité de ce geste nous montre que dans les impasses les plus lourdes certains ont trouvé un passage. Que ce soit dans la vie civile ou à l’église pour ceux qui partagent la foi chrétienne, cela doit nourrir la réflexion. En particulier est-il possible, d’ouvrir l’imaginaire des couples précaires en leur proposant le mariage ?

© Bruno Feillet

 

Notes

80. Denis SONET, Réussir notre couple, Droguet et Ardant, Limoges, 1987, p. 137.
81. Cf. Martine SEGALEN, Rites et rituels contemporains, Paris, Nathan université, Sciences sociales 128, 1998, p. 92-121.
82. Fabienne DAGUET, Un siècle de démographie française 1901-1993, INSEE, Démographie-Société, N° 434-435, 1995.
83. L’INSEE donne elle-même les raisons de cette hésitation: “Les personnes recensées doivent indiquer leur “état matrimonial légal” : célibataire, marié(e), ou remarié(e), veuf(ve) ou divorcé(e). Les réponses peuvent présenter dans certaines situations des différences avec la situation légale de la personne, par exemple : une personne vivant séparée de son conjoint mais non encore divorcée et donc légalement mariée aura pu hésiter entre les réponses célibataire, mariée ou divorcée”.
84. Cf. les tableaux 24 et 25 publiés chaque année in INSEE RESULTATS pour le domaine Démographie-Société.
85. Liliane LINCOT et Bruno LUTINIER, Les évolutions démographiques départementales et régionales entre 1975 et 1994, INSEE, Démographie-Société, N° 600-601,1998.
86. BORDES Marie-Madeleine et GONZALES-DEMICHEL Christine, « Marché du travail. Série longues », in INSEE-RESULTATS N° 610-611, Emploi-Revenus, N° 138-138, Juin 1998.
87. N. HERPIN, « La famille à l’épreuve du chômage », in Economie et statistique, N° 235, 1990, p. 34.
88. BORDES Marie-Madeleine et GONZALES-DEMICHEL Christine, « Marché du travail. Série longues », in INSEE-RESULTATS N° 610-611, Emploi-Revenus, N° 138-138, Juin 1998.
89. Profession actualisée comme on parle de statut actualisé par opposition à un statut latent.
90. Michel Louis LEVY, « La population de la France en 1996 », in Population et sociétés, Mars 1997, N° 322, p. 2.
91. Michel Louis LEVY, « La population de la France en 1996 » in Population et sociétés, N° 322, Mars 1997, p. 2
92. Philippe SUBRA, Le temps d’une conversion : le Valenciennois (1965-1995), Saint Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 1996, p. 32.
93. Philippe SUBRA, Le temps d’une conversion : le Valenciennois (1965-1995), Saint Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 1996, p. 32.