Écritures et morale

INTRODUCTION

 

Un lecteur attentif des récents documents magistériels romains à propos des questions de morale fondamentale, s’apercevrait assez vite de la place importante qui est réservée à l’Ecriture. Les moralistes avaient perdu ce réflexe de nourrir leur réflexion à la source première des Ecritures (1). Mais depuis une cinquantaine d’années, nous assistons à un véritable retour aux sources. Le Concile Vatican II y a pour sa part contribué.

 

Le Concile insiste, en effet, pour que  « l’étude de la Sainte Ecriture soit pour la sacrée théologie comme son âme » (2)et recommande plus particulièrement encore que « la théologie morale soit plus nourrie de la doctrine de la Sainte Ecriture » (3). Il reste qu’il ne suffit pas de citer l’Ecriture pour garantir son discours d’une bonne qualité théologique. Satan lui-même, lorsqu’il tente Jésus au désert à la suite de son baptême n’hésite pas à citer la Parole de Dieu. (Lc 4, 1-13). Cela nous invite donc à la prudence quant à l’interprétation de l’Ecriture.

 

 

I. L’interprétation de la Bible dans l’Eglise.

 

L’interprétation de l’ Écriture est une réalité à laquelle s’est affronté Jésus lui-même. On peut aller voir les fameuses antithèses matthéennes par exemple où Jésus semble « corriger » l’Écriture. Ou encore la façon qu’a Jésus de commenter l’histoire de Jonas (Mt 12, 40) ; Ou encore lorsqu’il se perçoit lui-même comme accomplissant les Écritures, en étant leur commentaire vivant (Mt 12, 16-21) ; enfin, n’oublions pas la parole de Jésus aux pèlerins d’Emmaüs en Lc 24 où reprenant les Écritures en « commençant par Moïse et les prophètes, il leur expliqua tout ce qui le concernait ». Les exemples sont innombrables. Et encore, il faut bien dire que l’acte interprétatif de l’Écriture par le christ se fait tout autant par ses paroles que par ses acte et de manière articulée ou unifiée. C’est dire combien l’éthique pratique du Christ est bien Parole de Dieu et interprétation de l’Écriture. Nous avons là le grand fondement de la nécessité de fonder la recherche morale des chrétiens sur l’Écriture car celui qui est l’homme accompli, l’homme éthique par excellence, l’homme dont l’image est identique à la ressemblance, c’est le Christ et lui seul comme accomplissant les Ecritures.

 

L’interprétation de l’Écriture existe dans l’Eglise depuis son origine et s’atteste jusque dans la pratique homilétique la plus ancienne. Récemment la Commission Biblique Pontificale a publié un document (4) important à ce propos. Beaucoup de méthodes de lectures sont validées, pour peu que l’on n’oublie pas leurs limites, comme les méthodes historico-critiques, sémiotiques, herméneutiques. Une interprétation du texte biblique aura d’autant plus de force qu’elle est la résultante de plusieurs méthodes dont les résultats concordent.

 

En revanche l’approche fondamentaliste a été condamnée sans équivoque parce qu’elle « sépare l’interprétation de la Bible de la Tradition guidée par l’Esprit » (5). Et plus loin la Commission exprime la particulière dangerosité de cette approche en ce qu’elle « peut duper des personnes en leur offrant des interprétations pieuses mais illusoires, au lieu de leur dire que la Bible ne contient pas nécessairement une réponse à chacun de leurs problèmes » (6). Cette remarque intéresse tout particulièrement les moralistes. La tentation est souvent grande, en effet, de placer une petite citation biblique pour tenter d’emporter l’adhésion de son interlocuteur. Or, si s’appuyer sur l’Écriture est absolument nécessaire, cela ne peut se réaliser sans discernement ni sans méthode sous peine de tomber dans la démagogie irresponsable ou des contradictions insolubles.

 

Enfin, la Commission Biblique Pontificale consacre une page au rapport entre exégèse et théologie morale. Il vaut la peine de la lire en entier.

 

 

« Aux récits concernant l’histoire du salut, la Bible unit étroitement de multiples instructions sur la conduite à tenir : commandements, interdits, prescriptions juridiques, exhortations et invectives prophétiques, conseils des sages. Une des tâches de l’exégèse consiste à préciser la portée de cet abondant matériau et à préparer ainsi le travail des moralistes.

 

Cette tâche n’est pas simple, car souvent les textes bibliques ne se soucient pas de distinguer préceptes moraux universels, prescriptions de pureté rituelle et ordonnances juridiques particulières. Tout est mis ensemble. D’autre part, la Bible reflète une évolution morale considérable, qui trouve son achèvement dans le Nouveau Testament. Il ne suffit donc pas qu’une certaine position en matière de morale soit attestée dans l’Ancien Testament (par ex. la pratique de l’esclavage ou du divorce, ou celle des exterminations en cas de guerre), pour que cette position continue à être valable. Un discernement doit être effectué, qui fasse entrer en ligne de compte le nécessaire progrès de la conscience morale. Les écrits de l’Ancien Testament contiennent des éléments « imparfaits et caducs » (Dei Verbum, 15), que la pédagogie divine ne pouvait pas éliminer d’emblée. Le Nouveau Testament lui-même n’est pas facile à interpréter dans le domaine de la morale, car il s’exprime souvent de façon imagée, ou paradoxale, ou même provocatrice, et le rapport des chrétiens avec la Loi juive y fait l’objet d’âpres controverses.

Les moralistes sont donc fondés à poser aux exégètes beaucoup de questions importantes, qui stimuleront leurs recherches. En plus d’un cas, la réponse pourra être qu’aucun texte biblique ne traite explicitement du problème envisagé. Mais même alors, le témoignage de la Bible, compris dans son vigoureux dynamisme d’ensemble, ne peut manquer d’aider à définir une orientation féconde. Sur les points les plus importants la morale du Décalogue reste fondamentale. L’Ancien Testament contient déjà les principes et les valeurs qui commandent un agir pleinement conforme à la dignité de la personne humaine, créée à l’image de Dieu (Gn 1, 27). Le Nouveau Testament met ces principes et ces valeurs en plus grande lumière, grâce à la révélation de l’amour de Dieu dans le Christ. »

 

Il y est entre autre exprimé que « la Bible reflète une évolution morale considérable, qui trouve son achèvement dans le Nouveau Testament » (7). Cela implique qu’un précepte moral inscrit dans l’Écriture ne peut être pris en lui-même de manière absolu sans toujours être relu à l’intérieur du grand mouvement de la Révélation qui culmine en Jésus-Christ.

 

A. L’utilisation de la Bible en théologie morale

 

Selon une typologie réalisée par sœur Geneviève Médevielle :

 

 

Lecture L’Écriture

Normativité

(par quoi passe-t-on à l’exigence normative)

Avantages de cette utilisation Risques liés à cette utilisation
Fondamentaliste Des réponses pour les problèmes du croyant aujourd’hui Par le caractère sacré de l’Écriture qui a force de loi. On a des réponses à tout Rejet de la médiation historique Autoritarisme de l’Écriture et problème de la place du discernement et de la liberté de conscience. Difficulté des textes et contre-textes
Argument d’autorité Aphorismes détachables à caractère inspiré qu’il suffit d’utiliser à bonne escient Par le caractère sacré inspiré de l’Écriture qui a force de loi. On a des réponses à tout.Pas d’incohérence entre textes et contre-textes en fonction de l’argumentation et de la dispute. Rejet de la complexité du témoignage biblique et de la Révélation
Historico-critique Témoignages situés dans un contexte qui nous révèlent un éthos biblique particulier Par la sélection critique des passages qui font la preuve de leur pérennité ou de leur universalité On fait droit à la critique historique On peut résoudre la question des textes et contre-textes à partir des couches du texte Problème du sens d’autrefois qui devient le sens pour aujourd’hui Risque de se faire le narrateur et l’actualisateur du passé en disant comme si j’avais été là.

Herméneutique

Qui envisage trois questions : la source du sens les limites du sens les effets du sens

Un récit qui donne : Une vision inspiratrice Un défi péremptoire (décisif)pour la foi Un appel à suivre le Christ.

La lecture se fait toujours à partir du temps présent Le texte parle par son pouvoir toujours actif comme témoin de la Révélation On respecte l’appel à la conversion Par la raison, l’imagination, la décision. Subjectivisme de la lecture ?

Quand celle-ci est mue par un intérêt qui est la conscience que l’exégète et le moraliste ont de leur propre situation, sens et valeurs qu’ils lui donnent et des solidarités qu’ils acceptent ou rejettent.

 

 

 

B. Les quatre sens de l’Écriture à l’époque médiévale

 

Littéral (historia) : Le texte tel qu’il est écrit.

Christologique (allégorique) : En quoi l’Écriture témoigne, annonce le Christ.

Moral (tropologique) : donne des indices pour conduire sa vie.

Eschatologique (anagogique) : Permet de référer l’ensemble de la vie au regard du retour du Christ.

 

En général, c’est dans cet ordre que l’on trouve ces quatre sens de l’Écriture (8). On notera l’ordre dans lequel ils arrivent. Et il n’est pas anodin que la christologie précède la morale. C’est après la confession de foi que la morale se donne à entendre. S’il y a bien un sens logique, c’est encore l’image organique qui rend mieux le compte du rapport entre les quatre sens de l’Écriture . « Chaque sens tend à l’autre comme à sa fin. Ils sont donc plusieurs, mais ils ne font qu’un. (9) » Ou encore : « Chaque phrase de l’Écriture a plusieurs sens ; mais plus réellement encore, toutes les phrases de l’Écriture n’ont qu’en seul sens. Toute la « lettre » renferme un trésor unique, notre trésor » (10) . D’autres ordres de ces 4 sens ont été repéré, mais celui-ci est le plus traditionnel et sans doute aussi le plus signifiant.

 

On peut de fait vérifier cela en reprenant les grands textes de la Bible sur lesquels s’appuie la théologie morale. Pour le dire avec Geneviève Médevielle : «  Il ne s’agit pas d’appliquer des réponses données par l’Écriture, mais d’interpréter l’Evangile de Dieu dans sa signification pratique en acceptant de rentrer dans certaines attitudes révélatrices du fait qu’on « s’est décidé pour le Christ » (J. Fuchs). Ces attitudes sont dépendantes de la compréhension de la figure de la Révélation qui se dessine dans l’ensemble de l’Écriture. Création, incarnation, passion-résurrection, don de l’Esprit désignent les actes essentiels par lesquels Dieu se révèle à l’homme et le sauve. L’adhésion de foi à chaque mystère induit des attitudes. Mais celles-ci sont toujours de l’ordre d’une interprétation rationnelle. »

 

Comme on le voit, je me place ici résolument dans une lecture herméneutique de l’Écriture car je crois qu’on ne peut éviter cette approche. Elle ne fait pas l’économie de la lecture historico-critique et se garantit d’une lecture trop subjectivante en se laissant critiquer par le mystère de la Révélation.

 

 

II. La Torah

Commençons par le début. Lorsque nous parlons de la loi ancienne, c’est bien à la Torah que nous pensons. La Torah que nous connaissons comme étant les 5 livres de la loi Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome). Enfin, il est suffisamment connu que le sens du terme Torah n'est pas réductible au terme de Loi au sens strict du terme. En effet, ces cinq livres connaissent des éléments très hétéroclites quant à leur genre littéraire (récits, liturgies, lois, ...). Disons que plus qu'une loi, la Torah est un cheminement de foi que le peuple des croyants va recevoir comme normatif pour sa réflexion ultérieure.

 

Si je vous demande quelles sont les paroles les plus connues, les plus célèbres de la Torah, que me répondez-vous ? C'est l'expérience du salut qui est d'abord mentionnée avant l'énoncé du premier commandement. Les commandements n'ont de sens qu'en lien avec cette expression de foi en Dieu qui sauve.

LES DIX COMMANDEMENTS.

 

Ces dix commandements, connus encore sous le nom de décalogue, déca-logos, des dix paroles, laissent entendre que la Torah est d’abord un recueil de normes. Or ce serait une vision très réductrice de ces livres que de se contenter d’une telle approche.

A. Présentation rapide du texte des dix commandements.

 

Pourriez-vous me donner les premiers mots du texte des dix commandements ? « C’est moi le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude » Ex 20, 1. C’est cette parole première ou plus exactement mémorielle qui fonde la légitimité des dix commandements. C’est dans un récit de libération et d’Alliance que s’inscrivent les dix paroles qui s’adressent à Israël en « Tu ».

Dix paroles qui se décomposent en deux tables de 4 et 6.

 

Table % Dieu

Table % Hommes

 

C’est moi le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude.

 

5. Honore ton père et ta mère

 1. Tu n’auras pas d’autres dieux face à moi

 

 

6.Tu ne commettras pas de meurtre

2. Tu ne te feras pas d’idole

 

 

7. Tu ne commettras pas d’adultère

3. Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur ton Dieu

 

 

 

8. Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain

 

 

4. Tu respecteras le jour du Sabbat

 

 

 

9. Tu ne commettras pas de rapt (vol)

 

 

 

10. Tu n’auras pas de visées sur la maison, la femme, les biens de ton prochain

 

 

Le même texte se trouve en Dt 5, 6-21 mais avec des nuances qui ne nous intéressent pas ici.

 

L’ordre des commandements peut changer selon la manière pédagogique et formelle de présenter les commandements. (On connaît en particulier le "fameux" 6° commandement qui est celui de la luxure dans les formulaires de pénitence mais ici, il arrive en 7° position). L’ordre n’est pas traité de la même façon dans le catéchisme universel. Mais on parle toujours des deux tables de la loi en ce sens.

 

 

Eh bien ! Parce que ces deux tables sont insérées dans le récit du salut, parce que les livres de la Torah ne contiennent pas seulement des normes sociales mais sont aussi pleines de récits et de liturgies, il est absolument impossible d’entendre le terme de Torah comme une loi au sens étroit du terme.

 

« Jean L’Hour montre bien que la stipulation fondamentale de l’alliance, "qui fait de la réponse d'Israël une véritable obéissance et non une pure observance", est, de soi, une réfutation de tout légalisme. C'est pourquoi la morale qui en résulte est une "marche" dans la voie de Dieu, une "recherche" de Dieu qui n'est jamais terminée »(11).

 

Dans cette citation il y a deux mots importants : obéissance et marche. Souvenez-vous que la prière juive la plus couramment prononcée est celle du « Shema Israël », Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur (Dt 6, 4). Obéir a sa racine dans l’audition. Celui qui a bien obéi, c’est celui qui a bien entendu. Par ailleurs, il faut retenir le mot de « marche ». La Torah est une invitation à se mettre en marche vers la terre promise. Les pharisiens qui réduiront cette Torah à des préceptes nombreux et minutieux noieront ces dimensions fondamentales d’écoute et de marche dans un légalisme étroit.

 

Voilà pourquoi, le Christ peut dire en Matthieu qu’il n’est pas venu accomplir la loi mais l’accomplir. L’obéissance parfaite (Ph 2, 5-11 : « Lui qui était de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et par son aspect il était reconnu comme un homme ; il s’est abaissé devenant obéissant jusqu’à la mort et la mort sur la croix (...) »

 

Jésus est par ailleurs un marcheur : « Or il advint, comme s'accomplissait le temps où il devait être enlevé, qu'il prit résolument le chemin de Jérusalem » Lc 9, 51. Il est un marcheur qui invite nombre de gens à le suivre, à marcher à sa suite (suis-moi). Souvenons-nous que dans le dialogue avec le jeune homme riche (Mt 19, 16-26.) toute la discussion porte sur que peut-on faire de bon (question éthique). Jésus renvoie la deuxième table, puis la dépasse en invitant à tout vendre, tout donner et le suivre. (Cf. Le commentaire de Jean-Paul II dans Veritatis Splendor).

Accomplir la loi c’est aussi en donner l’essentiel dans le double commandement de l’amour : « Aimer Dieu de tout son cœur et aimer son prochain comme soi-même » Dt 6, 4 avec Lv 19, 18. (Cf. le dialogue avec le scribe Mt 22, 40-41).

 

III. La loi du Christ.

 

Dans le Nouveau Testament, c’est le même principe herméneutique, la même règle de compréhension de la loi qui est à l’œuvre chez les premiers chrétiens. Ainsi observe-t-on que les grands discours sur la loi et la morale de St Paul sont toujours enracinés d’abord et avant tout dans la mémoire dans la foi du salut acquis par notre Seigneur Jésus-Christ. La parénèse suit toujours la catéchèse, la morale suit l’exposé de la foi. C’est au fond tout le thème de l’imitation qui se déploie en termes de morale : « Imitez Dieu, puisque vous êtes des enfants qu’il aime ; vivez dans l’amour, comme le christ nous a aimés et s’est livré lui-même à Dieu pour nous, en offrande et victime, comme un parfum d’agréable odeur. De débauche, d’impureté, quelle que soit, de cupidité, il ne doit même pas être question parmi vous ; cela va de soi pour des saints. » Ep 5, 1-3. Ou encore : « Vous qui craignez le Christ, soumettez-vous les uns aux autres » Ep 5, 21.

 

Ou encore si vous prenez tout le chapitre 3 aux Galates, avec toute l’articulation entre la foi et la loi. Paul rappelle au Galates que le baptême les a fait passer sous la loi de l’Esprit. C'est dans cette même épître, en Gal 6, 2 que nous trouvons une des deux expressions les plus significatives de la loi du Christ : "Portez les fardeaux, les uns des autres ; accomplissez ainsi la loi du Christ." Les versets 3 à 10 donnant un contenu plus précis à cette loi du Christ. Il s'agit en définitive de vouloir la vie de l'autre avant sa propre vie "Travaillons pour le bien de tous". La loi du Christ n'est rien d'autre que le commandement de l'amour de Dieu et du prochain qui exige le décentrement de soi. Et si l'on considère l'autre expression loi du Christ en 1 Co 9, 21, on comprend bien que Paul s'est fait juif avec les juifs, sujet de la loi avec les sujets de la loi mais aussi sans-loi avec les sans-loiparce qu'en définitive, il n'a qu'une loi, celle du Christ. Au fond, obéir à la loi du Christ lui permet d'être tout à tous.

 

Imitation du Christ, soumission au Christ, baptême en Christ, Esprit du Christ, loi du Christ, « la clé pour bien comprendre la morale néo-testamentaire n’est donc pas la critique paulinienne de la Loi mais la personne de Jésus, cœur du kérygme paulinien et chrétien. »(12) Pour le dire autrement, mais cette fois-ci avec Xavier Thévenot : « On devine ici combien on gagnera à ne pas dissocier éthique et spiritualité, et à bien articuler entre eux les deux thèmes spirituels classiques de "l’imitation du Christ" et de "la vie dans l’Esprit". Le premier accentuant la prise au sérieux de la mêmeté, le second ouvrant d’emblée à l’altérité de l’histoire. » (13)

 

A. Jésus-Christ nouveau Moïse

Il est assez simple de montrer que Jésus est présenté dans l'Evangile de Matthieu comme un nouveau Moïse. Si l'on considère que Moïse a "reçu et donné" la première loi, le fait de faire de Jésus un nouveau Moïse, c'est dans le même temps prendre une position théologique à l'égard de la loi de l'ancienne Alliance.

Le contraste sera d'autant plus fort, que non seulement la loi sera nouvelle, mais elle sera identifiée au Christ lui-même.

 

1. Voir les Evangiles de l’enfance chez Matthieu

 

  • Jésus fils d’une famille pauvre

  • Jésus, sauvé du massacre des petits-enfants

  • Jésus, fuit en Egypte, sauvé « par » l’Egypte.

 

2. Puis lors de sa prédication

  

  • Jésus monte sur une montagne (comme le Sinaï)

  • Jésus donne les béatitudes qui sont comme une nouvelle alliance qui sera scellée dans son propre sang.

  • Jésus reprend les commandements et les dépasse (Mt 5 : « Vous avez appris et moi je vous dis… »).

 

B. Le Sermon sur la Montagne : idéal inaccessible ?

Pour C. H. Dodd Le discours du Sermon sur la Montagne se comprend comme un idéal inaccessible. Des expressions comme « regarder une femme avec convoitise, c’est déjà commettre l’adultère ; tendre la joue gauche après la joue droite ; l’interdiction du remariage sous peine d’adultère ; couper le membre qui vous entraîne au péché ; (...) »,« ces nouvelles possibilités ne sont pas seulement un idéalisme renforcé, moins encore une aspiration vers une perfection inaccessible : elles consistent à reconnaître qu'un idéal inaccessible entraîne pour nous des obligations sans fin, que tout ce que nous pouvons faire de mieux est soumis au jugement de Dieu mais que ce jugement porte en lui-même le pardon. »(14) p. 39. Une telle vision n’est cependant pas déresponsabilisante aux yeux de l’auteur puisque selon lui, « si la loi du Christ nous propose un idéal inaccessible, « elle travaille à développer à l’intérieur de nous-mêmes un processus qui n’est autre qu’une activité morale » p. 93. Mais elle risque tout de même d’engendrer une certaine désespérance. Car en fait, pour Dodd, la loi du Christ est entendue comme le prolongement radical de la loi mosaïque. A ce titre on reste toujours sous le régime de la loi.

 

En revanche des auteurs comme Eric Fuchs réfléchissent tout autrement et de manière bien plus pertinente cette question. Il introduit une distinction capitale : « La Loi comme code social, pour respectable qu’elle soit, ne peut être mise suer le même plan que la Loi comme absolu éthique, celui-là même que Jésus institue (« vous avez appris..., mais moi je vous dis... ») ». (15)

 

Au fond, avec Jésus on passe de l’observance à l’obéissance (dont la racine est l’écoute), de la lettre à l’Esprit, de la loi à l’appel. Mais n’oublions pas qu’il ne s’agit pas chez Matthieu de renoncer à la loi mosaïque (non réductible à un code social) puisque Jésus n’est pas venu l’abolir mais l’accomplir. Mais la loi est assumée dans un projet plus vaste qui est enraciné dans l’appel au bonheur des béatitudes et dans l’absolu éthique que le Christ a manifesté au milieu de nous.

 

Un tel déplacement interdit désormais de « pervertir la loi-code dans un utilitarisme vulgaire. Désormais, il appartient aux disciples (…) de faire preuve d’invention pour rendre visible et présente cette signification de la loi comme exigence absolue du respect d’autrui »(16). Pour le dire autrement la loi du Christ suscite et crée une liberté et honore l’autonomie de l’homme comme celle qui par son libre-arbitre tente de répondre en profondeur à l’appel du Christ.

 

Pierre Claverie, l’ancien évêque d’Oran, assassiné au 1° août 1996 écrivait ceci :

« L’Esprit libère de la lettre de la Loi. Nous passons de l’obéissance à une loi extérieure, à l’impulsion intérieure qui oriente et dynamise la vie. La Loi avec ses commandements risque de séparer (ceux qui l’observent, les justes, et ceux qui ne l’observent pas, les païens et les pécheurs). Elle pousse à enfermer le croyant dans sa suffisance (la justice se conquiert à la force du poignet), ou le découragement (elle est hors de ma portée) ou la culpabilité morbide (je ne vaux rien devant Dieu ni pour personne). Alors qu’elle était, à l’origine, le code d’une relation, d’une alliance, elle devient un lieu de séparations et de ruptures. L’Esprit rétablit la relation et ajuste le comportement en agissant sur la volonté humaine à qui Il donne de connaître l’amour qui la suscite. En réponse à cette proposition divine, la volonté se porte librement vers ce que Dieu attend et que l’Esprit donne de percevoir.Ainsi la justice rejoint l’amour pour réaliser ce qui est bon pour l’homme ». (17)

 

Retenons en tout cas que la loi du Christ est une loi praticable. Mais pas n’importe comment. Xavier Léon-Dufour nous donne ici son point de vue : « Le commandement d’aimer les ennemis est-il praticable ? Oui, à condition que Dieu règne déjà dans l’homme, suscitant l’*agapè* qui, seul, déborde les frontières humaines et est sûre de Dieu qui sera victorieux de la haine, un jour. »

 

C. Le Sermon sur la montagne : une éthique de l’amour.

Le SMt (Mt 5-7) est un passage extrêmement étudié dans l’Evangile de Matthieu. Il a son parallèle dans Luc avec le sermon dans la plaine SP Lc 6, 20-46.

Le livre du père Marcel DUMAIS dont je vais ici m’inspirer présente un état de la recherche, une interprétation et une bibliographie à propos du SMt. Cette bibliographie atteint plusieurs centaines de références dans des articles et livres d’auteurs de tous pays et tous continents.

Selon lui, voici les tendances dominantes de la recherche exégétique sur ce que l’on pourrait appeler le cœur de l’enseignement éthique du Christ dans l’Evangile de Matthieu.

 

Structure concentrique du Sermon sur la Montagne

Auditoire

 
 

Introduction : Déclarations (5, 3-16).x

  La loi et les prophètes (5, 17-19)
 

Antithèses (5, 20-48). x x

 

Justice devant Dieu (6, 1-6) X X X X

 

Notre Père (6, 7-15)

X X X X

 

Justice devant Dieu (6, 16-18) X X

 

Thésauriser, s’inquiéter, juger, demander (6, 19 – 7, 11) x x x

 

La loi et les prophètes (7, 12)

 

Conclusion : Exhortations (7, 13-27) x

Auditoire : Réactions (7, 28-29).

 

 

 

17/44 emplois du mot « Père » se trouvent dans cette section du SMt.

Les petites croix représentent le nombre d’occurrences « Père » dans chaque section du SMt.

Voici maintenant le raisonnement de Marcel DUMAIS et de nombre des exégètes de la communauté internationale. Je vous le transmets dans sa quasi intégralité car je crois qu’il est très convainquant.

 

« Les 10 mentions du Père dans la section centrale du SMt ne sont pas réparties au hasard. Elles sont placées dans l'énoncé général sur la justice (v. 1), en conclusion de l'exposé de chacune des trois pratiques de la justice (v. 4, 6 [2x], 18 [2x]), en ouverture de la prière (v.9), elle-même immédiatement précédée et suivie de mentions du Père (v. 8, 14, 15). Le «père» est le terme et le thème structurant de toute cette section centrale (6, 1-18) du SMt. »

« Dieu le Père n'est pas l'objet direct ou explicite de l'enseignement du SMt. Celui-ci porte, tout au long, sur la manière d'être et d'agir à laquelle sont appelés les humains. Mais on est en droit de se demander si les nombreuses occurrences de la mention du Père et leur place privilégiée dans la structure du SMt (surtout dans celle du passage central) ne font pas de l'enseignement sur le Père un enseignement principal du SMt. Est-ce que, dans sa réalité profonde, le SMt ne parle pas d'abord du Père avant de parler de nous et pour correctement parler de nous ? »

« Tirons d'abord une conclusion de notre analyse de la place du Père dans la section de 6, 1-18. Si la référence au Père structure ce texte central du SM et que le centre du centre est une prière au Père, ne devient-il pas manifeste que l'enseignement du SM est un appel à une vie morale (une manière d'être et d'agir) qui prend son sens et sa source dans une relation vécue au père, appelée à s'exprimer dans une prière au Père? »

 

« Le fondement divin de la vie éthique est explicitement présenté dans la conclusion de la section sur la « justice » proposée par Jésus comme accomplissement de la Loi. En 5, 45-48, Jésus donne le motif et la finalité de l'agir demandé dans les «antithèses » : « afin que vous deveniez fils de votre Père qui est aux cieux » (v. 45) ; « vous serez donc, vous, parfaits, comme votre Père céleste est parfait » (v. 48). Notre vocation humaine, c'est de devenir « fils du Père ». La perfection du Père que nous sommes invités à imiter afin de devenir ses fils n'est pas définie en termes abstraits. Tous les passages du SM qui parlent du Père nous présentent des attitudes du Père qui décrivent son être, sa perfection : donner de bonnes choses (6, 4. 6. 18 ; 7, 11) ; savoir ce dont les êtres humains ont besoin (6, 8) ; se préoccuper de pardonner (6, 14.15). Mais, vu le parallélisme, c'est en 5, 45 particulièrement qu'il nous est dit en quoi consiste la perfection du Père (5, 48), que nous devons imiter: « il fait lever son soleil sur méchants et bons et fait pleuvoir sur justes et injustes». En d'autres termes,le Père est défini par un amour de bienveillance et de pardon qui s'étend à tous, même (sur) les méchants. Exister comme Père, pour Dieu, c'est créer des fils, faire exister des fils. Correspondre à cette paternité de Dieu et devenir véritablement fils du Père, c'est donc établir vis-à-vis de tous, même nos ennemis, une même relation d'amour (5, 44). On ne se situe vis-à-vis du Père comme un fils qu'au moment où on se situe vis-à-vis de tous, amis ou ennemis, comme un frère. »

 

« Ce passage du SMt nous enseigne que les trois termes - les trois réalités - de Père, fils et frère sont corrélatifs. Il faut vivre en frère pour vivre en fils et il faut vivre en fils, c'est-à-dire reconnaître que tous les hommes sont les fils aimés d'un Père commun qu'on cherche à imiter, pour pouvoir aimer ses ennemis eux-mêmes, c'est-à-dire établir vis-à-vis d'eux une relation de frère. Le commandement nouveau de Jésus en 5, 43- 48 porte, sans nul doute, sur l'amour des ennemis (v. 44), mais, plus profondément, il porte sur l'être-fils (v. 45, 48). Nous sommes invités à devenir ce que nous sommes déjà : des fils du Père, ce qui veut dire reproduire dans notre vie la qualité de l'être et de l'agir du Père. Tel Père, tel fils : le Père aime tous les hommes comme des fils, c'est en quoi il est parfait, et c' est en quoi les hommes, appelés à vivre en fils, doivent l'imiter. La filiation entraîne la fraternité, comme conséquence logique. La Paternité de Dieu est le lieu où les deux invitations ne font qu'une : se comporter comme des fils et se comporter comme des frères. Ne peut-on concevoir que la structure profonde du SMt soit constituée de la triple thématique interreliée : Paternité - Filiation Fraternité ? » (18)

 

On peut d’ailleurs remarquer que la structure du Notre Père lui-même est ainsi construite : D’abord tournée vers le père puis ensuite tournée vers les autres. Les autres sont en particulier mentionnés comme ceux auxquels nous sommes invités à donner le pardon. Or on ne donne son pardon qu’à celui qui nous a offensés, à l’offenseur dont la réalité radicale peut prendre le visage de notre ennemi.

 

D. Agir selon l'évangile.


Une fois que l’on a bien compris que la morale évangélique était bien une morale de l’amour, on n’a pas encore tout dit. Que signifie concrètement cette morale, comment s’articule-t-elle au Christ ?


Xavier Léon-Dufour, dans un ouvrage récent (19), propose une analyse passionnante de l’agir du disciple dans les quatre évangiles en distinguant la tradition synoptique de la tradition johannique. C’est au concept de synergie qu’il confie sa synthèse.


« Les deux traditions – synoptique et johannique – proposent une même coaction de l’homme et de Dieu, quoique de points de vue différents. Pour les Synoptiques l’homme saisit clairement que son agir est de soi « pécheur » et qu’il a besoin de vivre en enfant ou en pauvre afin de reconnaître que Dieu sel le fait agir. En accueillant la Bonne Nouvelle de Jésus, il ouvre la place au Dieu agissant. Alors l’agir humain devient synergie avec celui de Dieu.
Le IV° évangile bouscule cette dualité de l’homme et de Dieu, pour mettre en relief l’unité de l’agir ; le disciple doit « demeurer » en Jésus pour porter le fruit attendu. Les paroles de Jésus dans le IV° évangile pourraient orienter sur quelque comportement l’illuminé qui ne respecterait plus la dualité croyant/Jésus. Mais l’effort johannique est indispensable pour se préserver de ranger Jésus parmi les hommes ordinaires de ce monde.
L’une et l’autre tradition sont indispensables pour exprimer la réponse humaine à Dieu qui vient à la rencontre de l’homme. L’agir humain exprime celui de Dieu même.
» (20)
Il me semble plus qu’important de noter combien l’agir de l’homme relève d’une réponse au salut qui lui est fait par Dieu. St Paul en avait bien conscience lorsqu’il écrit aux romains : « Et nous savons qu’avec ceux qui l’aiment, Dieu collabore en tout pour leur bien » Rm 8, 28.

 

 

 

Conclusion

 

 

Nous avons donc vu à quel point l’éthique du Christ est une éthique théologique, profondément enracinée dans la contemplation et l’amour du Père. A l’imitation du Père ses fils sont invités à s’aimer les uns les autres même s’ils sont ennemis. C’est dans le mouvement même du salut que le Christ nous révèle les possibilités éthiques de tout homme. Ce que le cœur de l’homme n’avait pas imaginé, il nous l’a manifesté de manière éclatante. Le cœur de l’homme est capable de bien plus qu’il ne le croit.

 

Et j’aurai sûrement l’occasion d’y revenir, mais le péché est certainement lié à la question éthique de la peur de la mort. Le Christ n’a pas eu peur de prendre un visage déshumanisé par la torture et le péché de nos pères pour demeurer l’humain par excellence, celui qui nous humanise. Ce chemin parcouru nous révèle l’existence même de ce chemin, et partant sa possibilité.

 

Ethique impossible ? Oui, si le Royaume ne nous attire pas, si nous n’aimons pas le Père. En revanche si nous croyons au Christ qui a vécu pleinement l’Evangile, qui est l’Evangile de Dieu accomplissant la volonté du Père dans une obéissance fidèle et volontaire, alors nous comprenons que ce qui ressemble à une utopie n’en est pas une. Ce projet de Dieu sur nous doit pouvoir se convertir dans la prière dans une visée que seuls, les pauvres de cœur, pourront atteindre. Cette première béatitude qui inaugure le Sermon sur la Montagne, cette béatitude de la pauvreté des cœurs est celle qui nous met dans l’attitude juste, l’attitude du juste. L’attitude du fils qui reçoit la grâce, « une grâce qui coûte » comme dirait D. Bonhoeffer (21) parce qu’elle vaut le prix qu’a donné le Christ pour qu’elle soit offerte à tous. Une grâce qui coûte parce qu’elle en appelle à notre humilité, au renoncement à vouloir se contenter de belles paroles, parce qu’elle appelle en retour jusqu’au don de notre vie.

 

Cette première béatitude est aussi la première parole du discours du Christ nous révélant son projet éthique à la fois comme visée ultime et comme solidarité concrète, comme soif de bonheur et comme exigence de justice. C’est là tout le mystère de « l’universel concret » du mystère de notre foi. Tout se joue à chaque fois dans les petites choses. C’est alors, en imitant le Christ et en nous mettant sous la loi de son Esprit, dans la persévérance et la pauvreté du cœur, que « nous serons parfaits comme notre Père céleste est parfait ». Mt 5, 48.

 

 

© Bruno Feillet  09/07/2010

 

Notes

1. Voir en particulier Veritatis splendor où l’on a pu relever plus de 360 références bibliques.
2. Concile Vatican II, « Dei Verbum », N°24.
3. Concile Vatican II, « Optatam Totius » N° 16.
4. COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la Bible dans l’Eglise, Cerf, Paris, 1994.
5. Ibid p. 64.
6. Ibid p. 64.
7. Ibid p. 100.
8. Henri de LUBAC, L’ Écriture dans la Tradition, Aubier, Paris, 1966.
9. Henri de LUBAC, p. 279.
10. Henri de LUBAC, p. 281.
11. Cité par Pierre Grelot, Problèmes de morale fondamentale, un éclairage biblique, Paris, Cerf, 1982, note 33, p.134.
12. Edouard Hamel, L’écriture, âme de la théologie morale, in Gregorianum, Vol. 54, 3, 1973, p.435.
13. Xavier THEVENOT, Questions de morale fondamentale, in Compter sur Dieu, Cerf, Paris, 1992, p. 57.
14. C.H. DODD, morale de l’Evangile (Gospel and Law), Paris, Plon, coll. Lumière et vie N° 118, Trad. Jeanne Henri Marrou, 1958, p. 39
15. Eric FUCHS, L’Ethique du sermon sur la montagne, in Actualiser la Morale, Cerf, Paris, 1992, p. 321.
16. Ibid. p. 324
17. Mgr Pierre CLAVERIE (assassiné le 1° août 1996), extrait de l’Editorial du « lien », juin 1996.
18. Marcel DUMAIS, Le sermon sur la montagne, Etat de la recherche, interprétation, bibliographie, Letouzey & Ané, Québec, 1995, pp.89-90.
19. Xavier LEON-DUFOUR, Agir selon l’Evangile, Seuil, Paris, 2002, 186 pages.
20. Xavier LEON-DUFOUR, Agir selon l’Evangile, Seuil, Paris, 2002, p. 118-119.
21. Dietrich Bonhoeffer, Le prix de la grâce (Die Nachfolge), Labor et Fides, Genève, 1985, Trad. Luce Giard et Roland Revet, p. 21.