Le pardon où l'extrême de la vie évangélique

Lourdes Août 2002

Précautions oratoires :


Le sujet de cet après-midi est particulièrement délicat. Nous ne sommes pas devenus les hommes et les femmes que nous sommes aujourd’hui sans avoir affronté la réalité du mal et nous être posés la question du pardon à donner, à recevoir. Nous ne sommes pas devenus les hommes et les femmes que nous sommes aujourd'hui sans avoir été pardonnés de bien des offenses et ce depuis notre plus tendre enfance.
Il n’est pas impossible que mes propos, mes exemples, pourtant pris indépendamment de vos histoires personnelles, ne ravivent pas ces souffrances que vous avez pu traverser. Et je vous prie de m’en excuser.
J’espère aussi que mon intervention vous fera goûter que le pardon est ce chemin, l’unique chemin qui peut faire d’une situation désespérée un chemin où la vie a surabondé.

Le pardon est ce qu’il y a de plus difficile dans la vie des hommes et des femmes.
« Pardonner, jamais ! » entend-on parfois dans la bouche des victimes lors des procès pour crime ou viol. On entend surtout la douleur immense qui submerge ces personnes ;
Ou encore je me souviens de cette femme disant qu’elle ne pouvait plus prier le Notre Père, ou plutôt qu’elle s’arrêtait au milieu car elle n’arrivait plus à dire « pardonne-nous comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé ». Elle ne pouvait pardonner à ceux qui avaient fait souffrir ses enfants.

Il se trouve que le Christ parle souvent du pardon. Soit dans des paraboles, soit dans des discours, soit encore qu’il pardonne lui-même. Je vous propose de voir d’un peu plus près ces grands textes qui nous révèlent à la fois le désir de Dieu et l’étonnante capacité de l’homme à se dépasser jusque dans la quête légitime de justice pour lui-même en lui préférant le pardon, c’est-à-dire l’offrande d’un avenir renouvelé.

 

1. une place prépondérante dans les évangiles


Luc l’évangéliste du pardon.
Mais Matthieu présente le Sermon sur la montagne avec au centre la prière de Jésus et l’exigence de réciprocité.
Il est très étonnant de voir Jésus insister sur la réciprocité du pardon alors qu’il ne le fait pas pour le partage du pain. Comme si cela était plus facile pour du pain que pour le pardon, le vrai pardon.
Cela semble tellement important pour Jésus, qu’à la fin du Notre Père, le seul point d’insistance porte encore sur le pardon. Il aurait pu commenter d’autres points de sa prière, mais il choisit d’insister sur le pardon, tant c’est important, tant il s’y joue notre salut personnel.
« Mt 6, 14 - 15 : " Oui, si vous remettez aux hommes leurs fautes votre Père céleste vous remettra aussi ; mais si vous ne remettez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous remettra pas vos fautes. »
Or qui d’entre nous n’espère pas être pardonné par Dieu ?

Avons-nous suffisamment intégré le fait que dans le pardon quotidien, et il n'y a pas de petit pardon, se joue notre salut le plus profond et le plus définitif !

 

2. Qui prend l’initiative ?


Regardons Jésus qui dit sans cesse « La paix soit avec vous » lors des apparitions qui suivent sa résurrection. Cf. LEs évangiles des apparitions en Jn 20 par exemple.
Jésus qui prend l’initiative du dialogue avec Pierre sur la berge du lac. Pierre m’aimes-tu ? (Jn 21).
Jésus encore dans la parabole du débiteur impitoyable. Ce dernier demandait de la patience pour tout rembourser et voilà que le roi remet la totalité de sa dette colossale. (Mt 18, 23-35).
Nous avons parlé dans la première rencontre du jeudi, combien le pardon pouvait être un signe d’accueil authentique. Si c’est l’offenseur qui doit faire le premier pas, comment pourra-t-il le faire, si en face de lui il voit un visage fermé, qui l’attend comme un justicier. Le premier pas, dans l'Evangile, c’est toujours Jésus ou Dieu qui le fait. Pour étonnant que cela soit, le premier pas vient de la personne blessée, en proposant au moins un visage avenant, prometteur d’un accueil bienveillant.
Ceci dit, que cela n'empêche pas l'offenseur de se jeter à l'eau tout de même.

 

3. Le pardon n’est jamais parfaitement réciproque.


Il y a toujours une dette que l’on ne peut pas payer à celui qui nous a pardonné. Accepter d'être pardonné, accueillir le pardon, c'est reconnaître que l'on ne peut pas "rembourser" l'offense.
Cependant la vie qui m’est rendu est comme une mission pour que je permette à d’autres de vivre en offrant à mon tour ce pardon dont j’ai eu tant besoin pour me construire. Pour ceux qui aiment les mathématiques, nous sommes plutôt dans une approche transitive du pardon. Dans une approche en cascade si vous préférez.
Le débiteur impitoyable n’a pas compris cela. Le roi lui avait remis une dette énorme de millions de pièces d’argent et voilà qu’il refuse de remettre une toute petite dette d’une petite centaine de pièces d’argent.
Le roi n’avait mis aucune exigence à son pardon, mais il espérait bien que son serviteur en aurait fait autant. La dureté du cœur lui a été fatale et finalement, il devra tout rembourser. " C'est ainsi que vous traitera aussi votre Père céleste si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond de son coeur ". Mt 18, 33.


On voit bien ici combien le pardon quotidien a partie liée avec notre salut. Souvenons-nous de ces paroles formidables de l’Ecriture :
Jc 2, 13 - Car le jugement est sans miséricorde pour qui n'a pas fait miséricorde ; mais la miséricorde se rit du jugement.


 

4. Le pardon se distingue de la justice et parfois exige la justice.


La justice, c’est l’instance qui exige une réparation pour la faute commise. Il fut un temps où c’était la loi du western : Tu me voles un mouton, je massacre toute ta famille.
Puis nous avons eu la loi du talion : Œil pour œil, dent pour dent. Réciprocité exacte entre l’injustice commise et la réparation.
Aujourd’hui, on a progressé encore. Même si l’argent semble être la manière principale de tout réparer. De plus, la quantité d'argent, si importante soit-elle, pourra-t-elle jamais compenser la mort d'un enfant, la douleur de l'adultère, une réputation détruite, ... ?
Cependant, lorsque l’on est dans une relation de personne à personne, dans une relation interindividuelle, on peut imaginer que le pardon soit comme le renoncement volontaire à faire valoir son droit à la justice au profit d’un avenir commun. Quelle justice pourrait d’ailleurs demander les parents face aux paroles violentes de leurs jeunes enfants ? Une parole d'excuse, certes. Mais elle n'effacera pas la blessure.


Au niveau social, Henri IV dans l’édit de Nantes est un exemple intéressant pour notre sujet. Il écrit à propos des exactions qui ont eu lieu entre catholiques et protestants : « On fera comme si tout ceci n’a pas existé… » On parle de quelque chose dont on refuse de garder une mémoire juridique qui entraînerait des procès sans fin avec des dettes impayables dans tout le royaume. En revanche, pour en parler, c’est bien qu’il y a une mémoire, une mémoire éthique, celle-la. Pour le dire en termes modernes, on se fera même un devoir de garder la mémoire des troubles passés pour ne pas les reproduire et en tirer les leçons.
Mais, dans un contexte social, il est parfois nécessaire et utile que justice se fasse sans pour autant qu’elle nous dispense du pardon. La réparation est souvent nécessaire soit forcée par la bras de la justice, soit de la libre initiative de l’offenseur. C’est nécessaire pour l’offenseur lui-même plus encore que pour la victime. Cela peut commencer par un « Je te demande pardon », pour s’achever par une peine de prison avec amende et dommages et intérêts. La justice est parfois nécessaire aussi pour la victime qui a besoin de la réparation pour vivre, mais qui a besoin aussi de la force symbolique de la condamnation de son offenseur pour bien se dire à elle-même qu’elle a été vraiment victime et que d’autres avec elle le disent.
L'offenseur a parfois aussi besoin de la sanction de la justice à son égard afin qu'il intègre en lui-même la gravité de la faute qu'il a commise.


L’expression familière « Faute avouée est à moitié pardonnée » ne veut sûrement pas dire que l’aveu engendre une moitié de pardon, mais que le pardon une fois accordé, il faut encore une réparation. Cette réparation qui dit à soi-même et à la victime, concrètement, que l’on a fait une vraie faute et qu’on l’assume.
Le travail de la justice ne dispense pas pour autant les parties prenantes de se poser la question du pardon, de l’ouverture d’un avenir pour qui a commis la faute.
N ous avons entendu Jeudi après-midi le témoignage de cet homme qui avait payé sa dette à la société par des années de prison. Mais pour autant, de retour dans son village, il était encore enfermé par les autres dans son passé. Et l’on sent bien que payer sa dette est une chose, être pardonné est bien autre chose.

 

5. Le pardon n’est pas l’oubli, bien au contraire.


Le pardon a doublement à faire avec la mémoire.
. C’est bien parce que j’ai vraiment été blessé et d’autant plus blessé que la blessure vient d’un être dont je peux légitimement attendre autre chose qu’une violence, que je ne peux pas oublier. C’est parce que j’ai la mémoire que l’offenseur est le conjoint, le parent, l’enfant, l’ami fidèle, le collègue proche, que la blessure se grave au fer rouge dans ma chair. C’est inoubliable !


Alors, plutôt que d’oublier, le pardon sera le courage de ne pas utiliser la mémoire contre l’offenseur mais pour lui.


- Comment agira Dieu à notre égard lorsque nous nous présenterons devant la porte du paradis ? Nous dira-t-il : « Comment as-tu aimé ? » Sûrement pas ! En face de l’amour du Père, en face du Christ, que pourrons-nous dire si ce n’est « un tout petit peu, oh ! si peu… ».
Non ! je crois que le Père nous posera la question suivante : « Veux-tu être pardonné ? Crois-tu que jamais je n’utiliserai ma mémoire contre toi mais bien pour toi ? N’est-ce pas ainsi que j’ai agi en envoyant mon Fils sur terre, en l’envoyant pour vous ? (Dois-je rappeler les paroles de la consécration à la messe : ceci est mon corps livré pour vous ; mon sang versé pour vous et pour la multitude pour la rémission des péchés ». Justement pour la rémission des péchés.
- En cette année du bicentenaire de la naissance de Victor Hugo, je vous propose une très libre adaptation d’une poésie, le parricide, que vous trouveriez dans la légende des siècles. Il s’agit du prince Kanut. Il tue son vieux père pour être roi à sa place. Sachant comment il est parvenu au pouvoir, il se méfie de tout le monde et en particulier de ses proches. Dans le doute, il condamne ; Toujours il soupçonne ; Jamais il ne fait confiance. Il finit par mourir de sa "belle" mort. Voilà qu'il arrive dans une pénombre avec une vague lumière au loin vers laquelle il se décide de marcher. En cours de route il demande à une montagne enneigée de lui confectionner un blanc manteau digne de sa royauté, ce qui fut fait. Mais voilà que poursuivant son chemin, une goutte du sang de son père vient maculer le manteau royal. Puis une seconde, une troisième... Arrivé au terme de sa marche, il est rouge du sang de son père. En face de lui, il voit que c'est la porte du paradis, qu'elle est ouverte et qu'il attendu, pour peu qu'il demande le pardon pour toutes ses fautes et ses nombreux crimes. Or il n'a jamais pardonné de sa vie, il ne sait pas ce que c'est. Il se regarde, se juge comme il a toujours jugé, se condamne comme il a toujours condamné et s'en va seul, s'enfermant sur lui-même. L'enfer, c'est ça !


L’enfer est bien cette prison fermée de l’intérieur. C’est le refus délibéré d’être pardonné et la volonté orgueilleuse de se sauver soi-même. L’enfer est un enfermement sur soi-même où la clef est à l’intérieur.
Le paradis a pour clef l’acceptation d’être sauvé par un autre que soi. Je crois que notre vie suffit à peine pour découvrir que c’est là que se trouve la clef du bonheur.


Enfer et enfermement, Paradis et pardon. Profitons de notre langue française pour garder en mémoire ces quatre mots.

Mais le pardon qui gère la mémoire du passé pour le meilleur n’est pas l'affaire d’un seul jour. Il faut parfois des années pour que l’on puisse affronter la mémoire de notre blessure avec calme et sérénité. Bien souvent, la blessure est réactivée par les hasards de la vie ; nous sentons que notre colère remonte. Et lorsqu’il nous arrive de nous disputer avec le conjoint à qui nous avons dû pardonner quelque chose d’important, il nous faut beaucoup de courage pour ne pas lui balancer « Et puis d’ailleurs souviens-toi, tu as… et le doigt accuse… ». Souvent d’ailleurs dans ces circonstances, dans les films, mais je crois aussi dans la vie bien concrète, la personne se reprend en disant « excuse-moi, je n’aurais pas dû. »
Nous comprenons alors combien le pardon est cet engagement à ne jamais utiliser la mémoire comme un pouvoir futur pour régler des conflits ou justifier ses propres écarts futurs ou passés.
Non le vrai pardon n’exige rien, n’attend rien d’autre que cet avenir commun qui se trouve par là restauré. Le pardon est promesse de garder silencieuse et active notre mémoire. Silencieuse pour ne pas abuser de la faiblesse passé de l’autre, active pour déployer courageusement des énergies pour qu’il ou elle ne recommence plus. Et tout cela, pas une fois, pas dix fois mais soixante dix fois sept fois, comme dit l’Evangile.

On peut alors comprendre combien pardonner se distingue de sentir que l'on pardonne. Aimer quelqu'un ce n'est pas toujours sentir qu'on l'aime, c'est poser les gestes qui disent l'amour authentique. Il en est de même pour le pardon qui est l'acte d'amour le plus extrême. Pardonner, ce n'est donc pas toujours sentir que l'on a pardonné, mais bien avoir posé les gestes qui ouvrent à nouveau l'avenir commun.


L’offenseur, l’auteur de la faute, doit aussi travailler son rapport à la mémoire. Car si la victime a tendance à grossir la mémoire de ses souffrances, le bourreau, quant à lui, à tendance à oublier bien vite. Souvenons-nous, voulez-vous de ce paralytique que Jésus renvoie chez lui avec son grabat après qu’il lui eut pardonné ses péchés.
Pourquoi doit-il retourner avec ce grabat sur lequel il a été cloué tant d’années et qui lui est désormais inutile. Pour rien sinon pour qu’il garde la mémoire de ce qu’il fut, de l’état dans lequel son péché l’avait mis.
Il ne s’agit pas d’entretenir une mémoire culpabilisante sur son péché et de s’y enfermer pour se laisser ronger par le remords. Mais, il est bon de ne pas oublier que nous avons été pécheurs, ainsi nous accueillerons peut-être avec un peu plus de bienveillance le pécheur qui viendra nous demander pardon à son tour. De plus, la mémoire de notre péché nous gardera dans l’humilité de la condition humaine.


6. Le pardon a à faire avec la mémoire de mon identité personnelle ou sociale, avec la mémoire de mon désir et de mes rêves.

Commençons par regarder à nouveau le Christ.
Lorsqu’il se présente à ses disciples et à Thomas en particulier après sa résurrection, il dit d’abord « la paix soit avec vous ». Il ne commence pas par les accuser de l'avoir abandonné à une mort ignoble ; il ne leur reproche rien. Il leur souhaite la paix, tout simplement, merveilleusement. Mais ensuite, il invite Thomas à mettre sa main dans son côté et son doigt dans les trous de ses mains.
Dire « La paix soit avec vous », c’est vraiment dire je vous pardonne. C’est cette prise d’initiative de la victime qui permet la réouverture du dialogue dont je parlais tout à l’heure. Mais, il est assez impressionnant, que le Jésus qui pardonne, c’est celui qui est marqué par les stigmates de sa passion. Il ne sera plus jamais comme avant, non seulement parce que il est ressuscité mais aussi parce qu’avant cette transfiguration, il avait été défiguré par le péché des hommes et la lâcheté de ses disciples.
La résurrection le prend tel que la mort l’a trouvé.

Et bien je crois profondément que dans le pardon, il en est exactement de même. Celui ou celle qui pardonne, ne peut pas rêver à un retour en arrière, comme si le conflit n’avait pas eu lieu, comme si il ou elle n’avait pas été touché(e), marqué(e), modifié(e) jusque dans son corps. Le pardon est alors le fruit d’un travail de deuil sur celui ou celle que j’étais et un travail d’acceptation de celui ou celle que je suis devenu(e). Je pense que c’est là le travail le plus profond qui se joue dans le pardon.
Le travail de deuil peut aussi se faire sur les projets que j’avais et qui deviennent irréalisables dans la nouvelle vie qui commence. Je rêvais d’un couple et d’une famille qui aille jusqu’au bout et voilà que le divorce est passé par là ; Je rêvais d’enfants formidables et l’un d’entre eux s’est drogué ; Nous rêvions d’un couple modèle et voilà que nous avons traversé une grave crise de fidélité conjugale ; j’imaginais, le jour de mon ordination, être tout entier donné au Christ, et voilà que j’expérimente durablement une résistance, une limite. Pardonner aux autres, c’est difficile, se pardonner à soi-même ne l’est pas moins.
Le Travail de pardon a toujours à voir avec une recomposition de mon identité personnel et du groupe auquel j’appartiens.

Cela prend toujours du temps, beaucoup de temps parfois. Il ne faut pas s’en étonner ni en avoir peur, mais il ne faut pas renoncer pour autant parce que c’est long. Le vrai pardon, c’est comme le Christ, il ne déçoit jamais. Alors faisons tout pour lui donner sa chance.
L’avenir n’est possible que si nous acceptons de le faire autre, de le recevoir autre que ce que nous avions prévu qu’il soit. La joie de la fête des retrouvailles ne sera alors pas petite. Elle ne peut se goûter par avance mais elle aura la gravité et la profondeur que nous lisons dans le regard du père du fils prodigue de Rembrandt. « Enfin, tu es de retour. Je t’attendais, je t'attendais depuis le premier jour de ton départ ». Ou encore, comme me l'écrivait un couple ami : "C'est quand la tempête est passée que l'on est content de ne pas l'avoir fuie".


7. Conclusion


Pardonner en profondeur, ouvrir l’avenir commun pour l’autre et pour soi malgré ce qui s’est passé en s’appuyant sur la promesse de ne plus jamais y revenir, c’est possible, c’est vraiment possible. Dieu a envoyé son Fils Jésus pour nous pardonner nos péchés. Cela nous montre combien il espère en nous. Au nom de quoi, espèrerions-nous moins que Dieu le fait ?

Je finis cette intervention en m’appuyant sur les propos d’un grand théologien, le cardinal Hans Urs von Balthasar. Il rappelait dans un de ses ouvrages combien chacun espérait le salut, combien chacun demandait à ne pas être enfermé dans son passé et qu’on lui laisse une chance. Eh bien ! Je vous le demande, frères et sœurs, au nom de quoi refuserai-je à d’autres ce que j’espère tant pour moi : à savoir le pardon et le Ciel ?
- Au nom d’une sainteté personnelle plus grande que l’autre ? C’est un argument bien dangereux pour les lecteurs de l’Evangile que nous sommes.
- Au nom de la gravité du péché de l’autre ? Mais qui suis-je pour être plus dur et plus sévère que le Christ ?

Non frères et sœurs, je n’ai aucun argument pour refuser le pardon à qui que ce soit, pour peu que l’on ne confonde pas la justice avec le pardon. J’irai même jusqu’à prendre le style de saint Augustin en affirmant que désormais je pardonnerai à tous pour qu’au dernier jour il me soit fait miséricorde.

Demain, c’est le jour du grand pardon, n’oubliez pas de venir ici sur le coup de 16 heures pour célébrer la miséricorde de Dieu. Qu’à votre tour vous soyez des miséricordieux et que partout dans le diocèse de Cambrai on dise : « Voyez comme ils s’aiment ».

 

© Bruno Feillet

Remarque sur la joie

Une question très pertinente lors du débat qui a suivi a porté sur la nature de la joie. Qu'est-ce que la joie ? Comme on le lira dans plusieurs autres endroits sur ce site, il faut distinguer la joie du plaisir et du bonheur. Sans refaire ici tout le travail, rappelons en tout cas, que la joie est profondément liée à la mémoire d'un passé qui s'accomplit, d'une fidélité qui traverse le temps malgré les épreuves, de l'unification d'une vie par delà les échecs les plus sérieux. Le pardon contribue considérablement à rendre possible cette joie, cette unification intérieure. Mais parfois, ce qu'il y a de plus difficile, c'est de se pardonner à soi-même ses erreurs et ses fautes.

Si le pardon ouvre un avenir qui paraissait perdu, la joie est le fruit ultime de ce pardon qui permet l'unification profonde, apaisée et en vérité d'une vie qui n'a pas toujours été digne.

Dans une ligne plus spirituelle, le Ps 50-51 connu sous le nom de miserere, manifeste exactement cela. En effet, David, le psalmiste reconnaît bien que cette faute qui est devant lui, c'est la sienne, il ne le nie pas. Mais il la confie à la miséricorde de Dieu afin qu'il lui rende "la joie d'être sauvé". Passer du remords au regret, de la culpabilité à la libération n'est pas une petite grâce. La joie est le signe de l'authenticité de ce passage. Elle ne peut s'éprouver sur un déni du passé mais sur son assomption en Christ.
On se souviendra aussi que la joie est un don de l'Esprit. Le don de l'Esprit est amour, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi. Ga 5, 22.
Il ne nous appartient donc pas de la produire en nous par la seule volonté. En effet, il se peut même que Dieu veuille s'abstenir de nous faire ressentir cette joie pour nous aider à mieux comprendre qu'elle est un don et par ailleurs que nous agissons parfois pour cette joie et non pour la seule gloire de Dieu. Mais ordinairement, la joie profonde accompagne la sainteté de nos vie, comme la tristesse reflète notre éloignement de Dieu.