Le mariage catholique : l'alliance d'un homme et d'une femme pour toute la vie.

Colloque avec les médiateurs familiaux Juin 2004

Il est bien difficile de présenter en si peu de temps le mariage tel que les catholiques le pensent et essayent de le vivre jour après jour. Deux mille ans de vie chrétienne ont apporté beaucoup de richesses tant dans les fondements de l’union conjugale, les ressources pour poursuivre au quotidien un engagement pris pour la vie, que dans la gestion des séparations. Mon intervention relèvera donc d’une esquisse.
Je parle ici au nom de l’Eglise catholique. Aussi, s’il m’arrive de parler des chrétiens, ce sera plus par commodité de langage que par volonté de récupération de l’ensemble des traditions chrétiennes qui existent en France. Ne croyez pas que j’engage Mme le Pasteur qui est ici présente et que je salue fraternellement.


I. L’homme est créé pour aimer.


Avant de parler de mariage, commençons par parler des personnes. L’anthropologie chrétienne catholique comprend la personne humaine en la référant à son origine telle que la Bible la présente. Au moyen des images et des références de leur époque, les croyants juifs d’alors ont essayé d’exprimer leur foi en un Dieu qui a voulu chaque être humain pour lui-même, comme un partenaire libre. A la suite de Jésus-Christ, les chrétiens ont approfondi cette relation si originale qui demeure quelque soit l’état de vie choisi et en particulier celui du mariage.


A. A l’image de Dieu amour et par le moyen de l’amour.


Dans son exhortation apostolique sur la famille, Les tâches de la famille chrétienne dans le monde d’aujourd’hui (familiaris consortio), publiée en 1981, Jean-Paul II a cette très belle expression : « Dieu a créé l'homme à son image et à sa ressemblance: en l'appelant à l'existence par amour, il l'a appelé en même temps à l'amour. » (N°11).
Pour les chrétiens, si chacun de nous est capable d’aimer, c’est parce qu’à l’origine il y a un « Dieu qui n’est pas solitaire » mais qui est Trinité. Dieu est amour en lui-même. Être créé à l’image de ce Dieu, c’est être capable d’aimer à son tour.
Ensuite, l’acte de création est motivé par l’amour. Chaque être humain, homme ou femme, est voulu pour lui-même. Dieu, s’il est vraiment Dieu, ne peut pas avoir d’intérêt à la création des hommes. Son acte créateur relève donc d’un mystère qu’aucune théologie n’a pu percé mais seulement approché via l’expérience de l’amour.
C’est ainsi que dans l’Eglise catholique, nous affirmons que la vocation fondamentale de chaque homme et de chaque femme est d’aimer. Reste à le réaliser concrètement et ne pas se contenter de belles paroles.


B. Chaque personne est capable d’aimer.


Il y a plusieurs lois inscrites dans le cœur de l’homme :
• vouloir le bien et de s’éloigner du mal ;
• être capable d’aimer comme celui à l’image de qui nous avons été créé.
Les chrétiens pensent que tous, nous sommes capables de donner de nous-mêmes pour que d’autres vivent (conjoint et enfants). C’est alors que l’homme comprend sa manière de vivre comme une réponse à la création de Dieu. Jean-Paul II n’hésitera pas à dire que lorsque l’homme aime, « il participe à la sagesse créatrice de Dieu ».


1. Ce que présuppose l’acte d’aimer.


Pour les catholiques, il ne peut y avoir d’amour authentique que si la personne s’investit dans son intégralité. Entendons par là avec son corps, son intelligence et son âme. Nous déplorons toutes ces théorisations qui, après avoir séparé les unions de la fécondité, ont conduit à disjoindre le corps de l’esprit. Les couples fissionnels qui disent s’aimer tout en s’autorisant des écarts de conduite sexuelle se mentent à eux-mêmes.
Aimer, ce n’est pas seulement s’investir intégralement dans le temps présent mais aussi totalement, pour toute la vie. Que serait un amour qui ne s’engagerait que pour huit jours ou dix ans ? « Amour toujours » se répètent les amoureux.
Cependant, une chose est de le dire, une autre de le vivre concrètement et dans la durée.


2. Aimer, c’est vouloir aimer.


En régime chrétien, l’amour ne se résume pas au sentiment amoureux, à la passion. Les sentiments ne forment pas un projet de vie. Si éros est tout à fait compatible avec l’agapè, c’est l’agapè qui oriente éros et lui donne tout son sens :
« L’amour est longanime ; l’amour est serviable ; l’amour n'est pas envieux ; l’amour ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ; il ne fait rien d'inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s'irrite pas, ne tient pas compte du mal ; il ne se réjouit pas de l'injustice, mais il met sa joie dans la vérité. Il excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. L’amour ne passe jamais. » 1 Co 13
Il s’agit du texte le plus souvent choisi par les époux qui se marient dans l’Église catholique.
Cela dit, ils ne peuvent célébrer leur mariage que s’ils se sont réellement engagés à le faire en signant un projet de mariage qu’on appelle aussi une déclaration d’intention. S’aimer ne suffit pas pour se marier. En réalité, il faut aussi la volonté de s’aimer.
Cela suppose de longues discussions pour élaborer un projet de couple et de famille et une vraie décision. C’est la grandeur et la dignité de l’être humain que de pouvoir cela dire un Oui qui engage sa vie, toute sa vie.

 

II. Homme et femme il les fit.


A. La différence hétérosexuelle est structurante


Si chaque être humain porte en lui-même l’image de son créateur à travers sa capacité d’aimer vraiment, il faut aussitôt dire que la relation humaine qui porte le mieux l’image de Dieu est celle du couple humain hétérosexuel.
Il faut avoir le courage d’affirmer la non-équivalence des relations hétérosexuelles par rapport aux relations homosexuelles.
Dans le couple hétérosexuel, chacun éprouve la différence des sexes comme la différence qui tranche sur les différences. Cette différence est telle qu’elle oblige toujours le conjoint à sortir de lui-même pour comprendre l’autre. Cette différence provoque à la générosité, à l’accueil du conjoint, à l’accueil de vies nouvelles. C’est en cela qu’elle est vraiment structurante et humanisante.


B. La sexualité : un cadeau formidable et exigeant.


Les chrétiens sont de plus en plus attentifs à reconnaître dans le mystère de la sexualité une richesse source d’épanouissement à condition que les hommes ne perdent pas de vue son lien avec l’ensemble des valeurs humaines. La sexualité comporte toujours en elle-même les dimensions de légèreté et de gravité, de jeu et de sérieux. Vouloir supprimer l’une ou l’autre, survaloriser l’un ou l’autre, c’est entrer sur le chemin du non-sens.
C’est bien la grandeur des hommes et des femmes que de savoir donner du sens à leurs actes et de refuser de se considérer comme des animaux pour qui la sexualité n’est que génitale et instinctive.
Les chrétiens cherchent à éclairer le sens de leurs actes aux deux sources de la raison et de la foi. L’Église catholique est très attachée à reconnaître combien l’homme à l’aide de sa raison et de sa sagesse est capable de gouverner sa vie. Pour elle, honorer les capacités de l’homme à prendre en charge la conduite de sa vie, c’est honorer son Créateur. C’est pourquoi elle fait volontiers appel aux sciences humaines. Cependant, cette autonomie ne trouve pleinement son sens qu’en maintenant vivant un lien avec Celui qui la lui a donnée. Autonomie oui ! Autarcie non !


III. Le mariage comme sacrement.


Le concept d’engagement peut nous aider à comprendre au plan philosophique ce que les chrétiens comprennent par sacrement de l’alliance conjugal.
A la différence du contrat qui porte sur un bien ou un service à obtenir dans une durée limitée en échange d’un autre bien ou service, l’engagement porte sur l’être même de la personne, sans durée de temps. Chacun s’engage sur lui-même à vouloir le bonheur de l’autre parce que l’autre en fait autant à son égard.
Dans l’Église catholique, on parle de sacrement. Celui-ci donne une grâce spéciale au mariage : Celle de l’assouplissement du cœur lorsque la tentation des calculs mesquins se fait jour. Nous disons aussi que le mariage entre deux baptisés est indissoluble, c’est-à-dire qu’il acquiert une solidité particulière que personne ne peut défaire.
Mais ne croyez pas que cette solidité vienne seulement de l’extérieur du couple, comme une chape de plomb qui les recouvrirait. C’est le vœu même de l’amour que de durer toujours. C’est le plus beau cadeau que les époux se font : « rien jamais ne pourra détruire notre projet ». Je ne nie pas la part d’idéalisation qui existe dans ce genre de propos, mais au fond du cœur, tous ici nous avons le désir de dire une parole que nous tiendrons toute notre vie parce se joue dans cette parole le sens même de notre vie.
L’Église catholique accompagne, vérifie et bénit cet engagement lorsqu’il est pris avec suffisamment de maturité.


IV. Ne pas idolâtrer le mariage pour autant


Vous le savez sans doute, les Évangiles bénissent le mariage (Jésus se rend à une fête de mariage à Cana) et le Christ milite pour sa durée (ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas).
Mais le Christ n’idolâtre pourtant pas le mariage. Dans une parabole, il montre un couple de jeunes mariés qui est tout à la joie de sa nouvelle vie et qui prétexte de cela pour renoncer à se rendre au Royaume de Dieu. En fait, même pour les chrétiens, le mariage n’a de sens qu’en vue de ce Royaume. Les époux se choisissent et font alliance entre eux pour marcher ensemble vers Dieu lui-même. Le sens du mariage n’est pas dans le mariage mais dans le terme de la vie : ce que les chrétiens appellent la béatitude, le bonheur éternel.
Cependant, nous le savons, pour vieillir ensemble les époux ont dû traverser bien des épreuves, en particulier des conflits.


A. Ne pas éviter les conflits.


Le pire serait d’éviter les conflits. A propos de la gestion d’une crise ou d’un conflit, les chrétiens ont une longue expérience : Apprendre se disputer ; savoir dire comment on ressent les événements, les gestes ou les paroles de l’autre plutôt que de prêter au conjoint des intentions assassines qu’il n’a probablement pas ; apprendre à nommer l’objet du conflit ; ne pas mélanger les problèmes ; inviter un tiers… Les traditions monastiques et religieuses, les associations de conseillers conjugaux comme le CLER sont les héritiers de toute une expérience deux fois millénaire en la matière.
Mais comme je crois que tout ceci est votre spécialité, je n’insiste pas.


B. Savoir accompagner une séparation.


L’Église catholique ne veut pas l’unité du couple à tout prix. Lorsqu’il y a de la violence conjugale, de la violence sur les enfants ; lorsque le couple est mort petit à petit, mais qu’il est vraiment mort. Lorsque l’un des deux ne veut plus du tout le couple, … le divorce s’avère parfois nécessaire.
L’Église catholique n’interdit pas la séparation. Ce qu’elle demande, c’est que, l’on recherche d’abord les chemins de réconciliation. Et si c’est vraiment impossible, alors que dans ce moment très douloureux où le deuil de tant d’espoirs doit être mis en œuvre, il n’en soit pas rajouté sur l’injustice et le mensonge. Que l’on n’utilise pas les enfants. Trop de divorces sont l’occasion d’accroître la violence et l’injustice, parfois à l’instigation des avocats.


C. Nullité et non pas annulation.


Il me faut ici lever une ambiguïté du langage. Beaucoup pensent que l’Église catholique peut annuler dans certaines conditions un mariage. Annuler voudrait dire qu’il y aurait eu mariage. Dans l’Église catholique, nous disons plutôt que les conditions nécessaires au mariage chrétien (engagement pour la vie, à la fidélité, désir d’enfants, dans un contexte de liberté et de maturité suffisantes, …) n’étaient pas remplies au jour du mariage. Et si un procès (tout se fait par écrit) manifeste que ces conditions n’étaient pas remplies, l’Église catholique déclare alors qu’il n’y a jamais eu mariage, qu’il a toujours été nul sur le plan juridique. C’est pourquoi, les personnes concernées n’ayant jamais été juridiquement mariées peuvent alors se marier à l’église.
La déclaration de nullité est bien à prendre au plan juridique et non au plan moral. La plupart du temps les époux ont fait de réels efforts pour construire leur couple et leur famille. Parfois, certains refusent d’engager une telle procédure au simple fait qu’ils ne veulent pas remuer des souvenirs douloureux ou encore parce qu’ils ne veulent pas que leurs enfants aient l’impression d’être nuls, ou le fruit de quelque chose de nul. Il faut savoir leur dire que la déclaration de nullité a un effet uniquement juridique.
A vous qui êtes des professionnels et qui accueillez parfois des chrétiens convaincus, il est important que vous sachiez leur rappeler cela. Le fait d’être croyant redouble parfois la souffrance liée à un échec. Ouvrir la possibilité d’un procès sur la nullité d’un mariage peut ouvrir des horizons et apaiser bien des conflits.
Les demandes pour déclaration de nullité doivent s’adresser à Monsieur l’official au siège de l’évêché du diocèse où les époux se sont mariés. La procédure dure en général deux ans et coûte aux environs de 500 € (chacun donnant à la mesure de ses moyens).

 

Conclusion : Il est possible d’espérer.


Les chrétiens sont des hommes comme tous les autres, affrontés aux mêmes difficultés que tous les autres. Ceux qui vivent de leur foi bénéficient, me semble-t-il, d’une vision de leur couple plus idéalisée. Cela les aide à persévérer mais lorsqu’ils vivent un échec, ils risquent de tomber de plus haut. Pourtant, même en cas d’échec grave, ils disposent de ressources originales car leur projet conjugal ne repose pas sur leur seul sentiment amoureux c’est-à-dire sur eux-mêmes, mais sur un projet, la volonté réelle de le mettre en œuvre et plus encore sur leur foi au Christ qui lui, ne déçoit jamais.
Je n’ai pas eu l’espace pour vous parler du pardon. Mais lorsqu’il est vécu en profondeur et avec droiture, le couple ressort de son conflit plus fort. C’est une chose formidable que d’être aimé non seulement parce que ceci ou cela mais aussi malgré ce que l’on a dit ou fait. Je rappelle seulement que le pardon n’est pas l’oubli mais qu’il est une décision d’ouvrir et de préférer l’avenir commun et l’engagement à ne pas faire mémoire de la faute de l’autre contre lui.
Et je veux croire que si, vous, les médiateurs familiaux, vous êtes tout à fait capables d’aider à trouver des accords pour gérer les séparations, vous ne vous interdisez pas de proposer des chemins de réconciliation. Sous la cendre, il peut y avoir encore de la braise

 

© Bruno Feillet