Introduction

à l'éthique de la sexualité

 

   

Introduction

La Morale dans fides et ratio

A. Articuler foi et raison

B. Que dit Fides et ratio à propos de la morale ?

 

Introduction

" La vie sexuelle est un chapitre important de la morale personnelle, mais on ne peut la comprendre entièrement à partir des seules pulsions de l'être individuel, il faut l'appréhender dans la tension de deux partenaires l'un vers l'autre. La sexualité s'ordonne normalement à l'union de l'homme et de la femme. L'éthique intervient encore pour régler cette activité interpersonnelle. Mais le groupe social exige de plus que la communauté sexuelle s'insère dans le cadre d'une institution : le mariage. Par le sacrement enfin, la religion chrétienne élève la sexualité à la sphère du sacré. La relation à l'autre devient une médiation de la relation à Dieu. Le problème moral se pose alors dans toute son ampleur. L'homme sera responsable devant Dieu de son activité sexuelle, puisqu'elle l'engage non seulement dans une relation autrui, dans les lois d'un groupe, mais dans un dialogue avec Dieu. " 1
J'aime assez bien ce paragraphe tiré de l'œuvre de Louis Vereecke car il montre de manière progressive et intégrée les différents enjeux du cours que nous allons vivre ensemble.

Ce cours de théologie morale à propos de la sexualité s'inscrit dans le programme global de la formation des futurs prêtres. Il arrive assez tôt dans votre formation et c'est heureux d'ailleurs. Je crois que nos aînés avaient des cours de morale sexuelle après leur ordination diaconale, une fois qu'ils étaient engagés à vie. On appelait d'ailleurs ces cours les " diaconales ". Ces " choses-là " devaient rester discrètes. Les vieux manuels encore publiés en 1945 donnaient leurs recommandations en latin alors que le reste de l'ouvrage était déjà en français.

 

 

Jusque dans les années 50, ce genre de cours, comme les cours de morale d'ailleurs, étaient réservés aux futurs " confesseurs ", aux prêtres. Aujourd'hui, l'enseignement de la morale, de la théologie morale et des parties que sont la morale familiale et sexuelle, la morale sociale, … qu'on appelle encore les morales spéciales, ces cours sont désormais accessibles à qui veut les suivre. De ce point de vue, nous avons fait beaucoup de progrès.

Le cours de mon prédécesseur s'intitulait : " Ethique de la sexualité ". Celui de Xavier THEVENOT que j'ai suivi moi-même s'intitulait " Morale sexuelle ".
A l'institut de la famille Jean-Paul II à Rome, Le cours s'intitule " Ethique philosophique et théologique de la sexualité ". C'est évidemment faire un choix que d'estimer que l'exercice de la sexualité peut être inspiré de la foi et des Ecritures. Et je partage bien volontiers cette intuition. En effet, l'acte de croire ne peut pas ne pas rejaillir sur les différentes manières de vivre au quotidien. Ensuite, la sagesse humaine a depuis longtemps récolté des repères pour vivre la sexualité de manière humanisante. C'est pourquoi la théologie et la philosophie avec les sciences humaines sont requises pour ce travail comme les deux ailes pour s'élever vers la vérité.

Ce cours est au programme disais-je. La ratio institutionis nous dit que " Parmi les questions d'éthique sexuelle, d'éthique familiale et de bioéthique, on retiendra surtout les suivantes : la vie humaine comme don, son caractère sacré et inviolable, avortement, suicide, euthanasie et accompagnement des mourants. La sexualité et l'amour, la vertu de chasteté en ses différentes formes, union et procréation, régulation des naissances, assistance médicale à la procréation; homosexualité. Mariage et famille, nouvelles figures de la famille dans la société contemporaine, force et faiblesse de la famille (voir l'Exhortation apostolique de Jean Paul 11, Familiaris consortio), éducation des enfants, fidélité conjugale, divorce. Dimensions de la santé humaine, déontologie médicale, greffes, expérimentations sur l'être humain. "
Ce sont là des questions très variées qui relèvent de plusieurs domaines différents : la sexualité, le mariage et la bioéthique. Ils sont distincts mais ils sont voisins dans leur problématique car tous ont de près ou de loin à voir avec la sexualité, la reproduction, l'origine ou la fin de la vie. Nous ne pourrons, hélas, tout aborder et je pense qu'à propos de la bioéthique ou du divorce d'autres cours se chargeront de travailler les questions.
En ce qui nous concerne, je pense que nous travaillerons des questions comme tout ce qui relève du contexte, du cadre social et religieux dans lequel se déploie notre cours ; inévitables seront les études autour de la vertu de chasteté, sur la continence, sur le sens de la relation amoureuse et des gestes qui l'accompagnent ; nous travaillerons aussi des aspects importants des comportements sexuels que l'on trouve en France comme la cohabitation, qu'elle soit juvénile ou pas, la contraception, l'homosexualité. Cette liste ne veut pas dire que les problèmes évoqués par ces réalités sont du même ordre de gravité dans leur ordre propre comme dans leur rapport mutuel. Il faudrait dire les contraceptions, les homosexualités, … Nous travaillerons, nous retravaillerons ce qu'il en est dans ce domaine du péché, de la faute, de la culpabilité mais aussi de la possibilité de progresser, de la loi de gradualité, et de la croissance spirituelle possible malgré ou à l'intérieur de failles qu'une sexualité pas toujours maîtrisée met en évidence. J'espère aussi avoir le temps de travailler avec vous des éléments autour de l'éducation sexuelle (ce qui revient en quelque sorte et par certains côtés à faire un cours sur le cours lui-même).
Y a-t-il des domaines que vous auriez aimés travailler et qui ne sont pas a priori honorés par ces quelques évocations ?

 

 

 

Présentation de la bibliographie.

Vous remarquerez que les sources sont plurielles. Certaines s'appuient sur la Révélation qui s'inscrit dans le registre de la foi et d'autres sur le travail de la raison particulièrement au niveau de la philosophie et des sciences humaines.
Afin de cadrer la méthode de travail, je vous rappelle comment dans fides et ratio, Jean-Paul II articule ces deux dimensions qui nourrissent le travail intellectuel dans le cadre de la foi.

 

 

 

LA MORALE DANS " FIDES ET RATIO ".


A. FIDES ET RATIO : ARTICULER LA FOI ET LA RAISON.


Cette encyclique, récente, nous donne, nous redonne les conditions de possibilité de notre travail. En effet, il s'agit pour Jean-Paul II de montrer que la foi et la raison, lorsque cette dernière est droite, ne peuvent être contradictoires. Dire qu'elles " sont comme les deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité " (n°1) c'est affirmer qu'elles collaborent à une même tâche, chacune selon son mode propre. L'image laisse entendre aussi que se passer de l'une ou de l'autre rend boiteux le vol de l'oiseau en quête de vérité.
Mais une fois que l'on a affirmé la coexistence de la foi et de la raison au service de la vérité, on n'a pas tout dit pour autant. Encore faut-il montrer comment elles travaillent ensemble, comment se présentent cette collaboration. Si au n°73 Jean-Paul II rappelle que " la relation qui doit s'instaurer entre la théologie et la philosophie sera placée sous le signe de la circularité " c'est-à-dire que et la foi et la raison ont tout à gagner de ce travail méthodologique en commun, il faut aussi dire que le mode de travail de la science éthique et de la science théologique n'est pas le même. Ensuite il convient aussi de rappeler, ce qui ne l'est peut-être pas assez, que c'est essentiellement (et non plus au niveau méthodologique) que la raison se reçoit du Créateur comme un don fait à l'homme, et c'est la foi qui le lui dit. C'est bien ce que disait déjà le concile Vatican I : " Bien que la foi soit au-dessus de la raison, il ne peut jamais y avoir de vrai désaccord entre elles. (…) Non seulement la foi et la raison ne peuvent jamais être en désaccord, mais encore elles s'aident mutuellement. La droite raison démontre les fondements de la foi ; éclairée par sa lumière, elle s'adonne à la science des choses divines. La foi, elle, libère et protège la raison des erreurs et lui fournit de multiples connaissances."2 Jean-Paul II ne dit en fait rien d'autre.

 

 


Il reste que la possibilité de travailler au niveau de la droite raison (recta ratio) nous ouvre aussi le champ du dialogue avec tous les hommes de bonne volonté qui usent droitement de la raison. Ce concept de " raison droite "3 est assez difficile à utiliser car il se distingue de celui de la conscience droite (point de vue subjectif) sur lequel nous aurons à revenir abondamment. En fait, c'est la foi qui dit, de son point de vue, que la raison s'est exercée ou a été exercée droitement. " Quand la raison réussit à saisir et à formuler les principes premiers et universels de l'être et à faire correctement découler d'eux des conclusions cohérentes d'ordre logique et moral, on peut alors parler d'une raison droite ou, comme l'appelaient les anciens, de orthòs logos, recta ratio. " n°4. Pour le dire autrement, le concept de raison droite est un concept théologique puisqu'il n'est applicable et utilisable que du point de vue de la théologie. En tout cas, c'est dans cet esprit que nous tâcherons de faire de la théologie morale à propos de la sexualité.

Avant de voir ce que dit l'encyclique sur la philosophie morale, il me faut encore noter une difficulté sur laquelle nous reviendront peut-être : il s'agit de la polysémie, de la pluralité de significations qui entourent le mot " d'autonomie ". Bien souvent, seul le contexte peut nous permettre de déterminer si cette autonomie est affectée d'un facteur positif ou négatif. Nous reviendrons évidemment sur la question de l'autonomie qui est une question centrale en morale. Mais notez déjà que lorsqu'elle est assimilable à l'autarcie, close sur elle-même, l'autonomie de la raison humaine risque de se perdre dans les méandres de la raison raisonnante faute d'objet ou de but extérieur à elle-même. En revanche, lorsque cette autonomie se reçoit explicitement d'une transcendance, elle est perçue par le magistère de manière très positive. Vous trouveriez le même débat dans le Concile Vatican II à propos de la sécularisation.4

 

 

 

B. QUE DIT FIDES ET RATIO A PROPOS DE LA MORALE ?


Les statistiques vous montreraient que " morale " revient 20 fois dans l'encyclique dont 7 fois dans l'expression " théologie morale ". " Ethique " revient, quant à elle, 17 fois dont 2 fois dans l'expression " éthique philosophique ". L'expression philosophie morale n'existe pas comme telle. Il semble que pour une clarté du vocabulaire, Jean-Paul II a choisi de réserver la morale pour le versant théologique et l'éthique pour le versant philosophique. Mais sur le fond, cela n'apporte pas grand chose. La distinction entre éthique et morale est une affaire d'école.
Le n° 68 est particulièrement décisif pour la compréhension du cours. " La théologie morale a peut-être un besoin encore plus grand de l'apport philosophique. En effet, dans la Nouvelle Alliance, la vie humaine est beaucoup moins réglée par des prescriptions que dans l'Ancienne Alliance. La vie dans l'Esprit conduit les croyants à une liberté et à une responsabilité qui vont au-delà de la Loi elle-même. L'Évangile et les écrits apostoliques proposent cependant soit des principes généraux de conduite chrétienne, soit des enseignements et des préceptes ponctuels. Pour les appliquer aux circonstances particulières de la vie individuelle et sociale, le chrétien doit être en mesure d'engager à fond sa conscience et la puissance de son raisonnement. En d'autres termes, cela signifie que la théologie morale doit recourir à une conception philosophique correcte tant de la nature humaine et de la société que des principes généraux d'une décision éthique. "

 

 


Deux remarques :
" Comment ne pas comprendre à la fois l'exigence du travail intellectuel qui nous est fait et d'autre part l'enthousiasme ou la confiance extraordinaire que met le Pape dans le travail de la raison.
" La seconde remarque porte sur la dernière phrase qui articule théologie morale, philosophie de la nature humaine (anthropologie) et décision éthique. Ce ternaire est tout à fait fondamental pour bien situer notre travail. Il n'y a pas d'éthique qui ne présuppose une anthropologie et pas d'anthropologie qui ne se situe dans une patrie spirituelle (fut-elle agnostique ou athée). C'est pourquoi, il est toujours intéressant de poser aux éthiques que nous rencontrerons la question anthropologique et la question métaphysique. Pour quel homme est cette éthique ? Dans quel univers, dans quelle vision du monde cet homme est-il compris (aux deux sens du mot comprendre) ?
C'est à la même conclusion qu'aboutit Jean-Paul II au n° 98 lorsqu'il écrit : " L'éthique que l'on attend implique et présuppose une anthropologie philosophique et une métaphysique du bien. ". Le jour où vous prendrez le temps de réfléchir sur la morale chrétienne et sa spécificité, c'est, me semble-t-il, à l'intérieur de ce cadre que ce sera le plus opératoire.
Comme partie de la théologie morale, le travail que nous ferons en théologie morale à propos de la sexualité procédera de la même façon.

 

 

 

Il vaut la peine, enfin, de s'intéresser à la question de la possibilité d'une théologie de la sexualité. Qu'est-ce que cela veut dire ?
Cela signifie que parler de cette dimension spécifique de chaque être humain est dans le même temps prendre position sur la nature humaine et partant sur le créateur dont il est l'image et dont le péché voile trop souvent la ressemblance. C'est aussi affirmer que les relations humaines qui sont nécessairement colorées par la sexualité particulière de chacun peuvent être éclairées à la lumière de la Parole de Dieu mais aussi guéries lorsqu'elles ont été blessées.

C'est bien pourquoi, le travail que nous ferons ensemble ne portera pas seulement sur la cohérence interne qui existe entre la foi chrétienne et la vie qu'elle suppose mais aussi sur les chemins de maturation que l'homme parcours patiemment.
Je ne veux pas oublier ici, cette parole du Christ qui s'adresse tout spécialement aux moralistes : Mt 23, 2-4
" Sur la chaire de Moïse se sont assis les scribes et les Pharisiens :
- faites donc et observez tout ce qu'ils pourront vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes : car ils disent et ne font pas.
- Ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt.

Ce cours n'a de sens que s'il permet d'honorer la force de l'appel que Dieu lance à l'homme sans l'écraser sous le poids de cet appel mais en montrant combien il permet d'avancer même si on ne fait pas toute la route en une seule fois.

 

 

 

1. Louis VEREECKE, " Mariage et sexualité au déclin du Moyen-Age ", De Guillaume d'Ockham à Saint Alphonse de Liguori, Rome, Collegium S. Alphonsi de Urbe, tome XII 1986, p. 345.
2. Constitution Dei Filius, ch. 4, [FC 99-101].
3. A ce sujet on pourra lire : Joseph FUCHS, Existe-t-il une " morale chrétienne " ?, Duculot, Gembloux, 1973. Spécialement le troisième chapitre pp. 52-92.
4. Cf. GS 41, 2 : " Car, si le même Dieu est à la fois Créateur et Sauveur, Seigneur et de l'histoire humaine et de l'histoire du salut, cet ordre divin lui-même, loin de supprimer la juste autonomie de la créature, et en particulier de l'homme, la rétablit et la confirme au contraire dans sa dignité. ". Cependant il y a un risque. Cf. GS 41, 3 : " Nous sommes, en effet, exposés à la tentation d'estimer que nos droits personnels ne sont pleinement maintenus que lorsque nous sommes dégagés de toute norme de la loi divine. Mais, en suivant cette voie, la dignité humaine, loin d'être sauvée, s'évanouit. "

© Bruno Feillet